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le débat public, à s’empresser d’offrir une transaction. Ces prévisions, l’événement les justifia.

C’était la plainte contre Aphobos qui devait venir la première devant le tribunal ; le jour où se plaiderait l’affaire était déjà fixé. Aphobos, qui avait ses raisons pour le craindre, fit alors un vrai coup de partie. Ce que son calcul avait d’habile et de perfide, on ne peut le comprendre, si l’on ne connaît le mécanisme de deux institutions qui sont une des originalités d’Athènes, les liturgies et l’échange des fortunes.

Beaucoup des charges qui, dans les sociétés modernes, sont supportées par le trésor de l’état pesaient à Athènes sur les particuliers. Elles se distribuaient entre les citoyens aisés d’après certaines règles et en proportion de leur fortune ; le tour de chacun revenait plus ou moins souvent, selon le nombre des contribuables et les besoins de l’état. C’était ce qu’on appelait les liturgies ou services publics. Ces liturgies étaient de deux sortes : les unes fournissaient aux besoins réels de l’état, aux frais de la guerre, à l’équipement des navires ; c’étaient celles qu’on appelait les triérarchies ou commandemens de navires. Les autres servaient à offrir au peuple ces divertissemens et ces fêtes qui furent si utiles au progrès des arts, et qui donnèrent à la vie athénienne une incomparable splendeur ; c’étaient les charges de chorège, de gymnasiarque, d’hestiateur. Les chorèges faisaient instruire et habillaient à leurs frais, pour les grands jeux de la cité, pour les concours de drame et de musique, des troupes d’acteurs, de danseurs et d’instrumentistes. Les gymnasiarques fournissaient l’huile pour la palestre ; l’hestiateur donnait, une fois dans l’année, un grand repas à sa tribu. La théorie athénienne sur l’impôt, on le voit, différait sensiblement de la nôtre. On la trouve résumée dans un discours de Lysias fort important pour l’histoire économique d’Athènes[1]. L’orateur demande quel est pour un état la meilleure, la vraie source de revenus. Nous répondrions que ce sont des impôts assez bien établis pour atteindre la richesse sociale sous toutes ses formes sans jamais gêner l’essor de la production. Pour Lysias, c’est la bonne volonté des citoyens, c’est leur empressement à contribuer aux charges de l’état par des liturgies ou par des dons en argent. Le financier athénien n’eût pas été assez habile pour poursuivre et saisir la richesse dans toutes ses transformations, surtout quand elle se changeait en valeurs mobilières. Or c’était là souvent le cas dans une cité industrieuse et commerçante ; il fallait donc que le capital vînt en quelque sorte au-devant de l’état et s’offrît de lui-même à ses prises. C’est à quoi l’on tendait par la

  1. Défense contre une accusation de corruption (XXI, 12-14).