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de l’arrêt ? Quelque étrange que cela paraisse, il est possible qu’il en fût ainsi ; on écrivait bien moins à Athènes que dans la plus petite de nos sous-préfectures, et nous voyons souvent l’issue d’anciens procès certifiée devant le jury au moyen de la preuve testimoniale, dans des cas où il nous semblerait beaucoup plus simple de produire un extrait du jugement. Il est probable que certains greffiers prenaient des notes pour eux-mêmes, ou plutôt afin de pouvoir les communiquer moyennant salaire. Il n’est point douteux que des avocats tels que Lysias et Isée eussent sous la main des renseignemens de ce genre, classés par catégories d’actions : ils en trouvaient la matière, pour les dernières années, dans leur expérience et dans leurs propres souvenirs ; mais, pour ce qui remontait plus haut, c’était à des copies de ces registres des greffiers qu’ils devaient recourir, afin de pouvoir invoquer au besoin l’autorité de la chose jugée.

En dernier lieu, l’orateur ne pouvait se dispenser de pratiquer et de consulter sans cesse les ouvrages de ses devanciers ; il y trouvait tout à la fois des modèles et d’utiles renseignemens juridiques. Tous les plaidoyers qui avaient été mis par écrit et conservés à Athènes avaient leur place marquée dans le cabinet d’un émule et successeur d’Antiphon. Ce qui rendait ces documens encore plus nécessaires à l’avocat, c’est qu’il était telle affaire qui se perpétuait, pour ainsi dire, à la barre des tribunaux, comme par exemple celle de la succession du riche Hagnias[1]. En pareil cas, il importait fort de savoir comment la question avait été présentée dans les litiges antérieurs ; c’était le moyen de reconnaître quelle porte restait ouverte pour rentrer dans le débat.

Voilà, autant que nous pouvons nous la représenter par induction, ce qu’était la bibliothèque professionnelle d’Isée ; voilà de quels instrumens de travail il enseigna l’usage à Démosthène. On peut croire qu’il ne retint pas longtemps sur les élémens de la rhétorique un esprit si bien doué, si sérieux, si pressé d’agir ; il l’appliqua bientôt à la science du droit et à la pratique des affaires. Etant donnée la situation particulière du jeune homme, son maître dut insister avant tout sur les lois relatives à la minorité et à la tutelle ; il dut lui faire lire de préférence les plaidoyers qui avaient été écrits soit pour des mineurs, victimes des mêmes fraudes que Démosthène, soit pour des tuteurs se prétendant injustement attaqués. D’ailleurs il était si facile à des gens retors de soulever des incidens et de porter le débat sur un autre terrain, qu’il eût été téméraire d’engager le combat avant de bien connaître tout le système de la

  1. Nous avons deux discours relatifs à cette succession, le onzième d’Isée et celui de Démosthène, intitulé contre Macartatos à propos de l’héritage d’Hagnias.