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Cicéron et les Sénèque. Au VIIe siècle, l’empereur Héraclius est tiré d’un abîme de tristesse et d’énervement par l’un des successeurs et des compatriotes de Chrysostome, le patriarche Sergius. Nous avons acquis la preuve que ce patriarche avait étudié très attentivement la fameuse correspondance consolatoire, et que les remèdes qui s’y trouvent indiqués, employés par lui, ont préparé la croisade triomphante d’Héraclius[1]. Or quels sont ces remèdes ? N’oublions pas que c’est ici un chrétien fervent qui s’adresse à une chrétienne non moins fervente. De là les fréquens exemples empruntés à l’histoire de Jésus-Christ et à celle de saint Paul. À cette lumière, le scandale s’évanouit, et il reste bien établi « qu’il n’y a de mal que le péché et de bien que la vertu ; tout le reste, bonheur ou malheur, quelque nom qu’on lui donne, n’est que fumée, fantôme et illusion. »

En ce qui concerne le fait spécial et poignant de l’absence, Chrysostome était tenu d’être plus humain. S’il était naturellement porté à l’ascétisme et au mysticisme, l’apôtre des gentils le retenait heureusement et l’empêchait de s’égarer. On connaît le fameux passage de saint Paul dans son épître aux Corinthiens : « étant venu à Troade dans l’intérêt de l’Évangile du Christ, quoique le Seigneur m’eût ouvert les portes de cette ville, je n’ai pas eu l’esprit en repos, parce que je n’avais pas trouvé là mon frère Tite ; prenant donc congé d’eux, je suis parti pour la Macédoine. » Je ne sache rien de plus éloquent que le commentaire que Chrysostome a fait de ces paroles dans l’une de ses lettres à Olympias. « Persuadez-vous bien, Olympias, disait-il en terminant, que vous me reverrez… Montrez-moi votre affection en accordant à mes lettres le même pouvoir qu’à mes paroles. » Ces promesses et ces espérances ne se réalisèrent pas ; Olympias survécut à son père spirituel. Dès lors son mal n’était plus guérissable. « Olympias, dit son historien, s’arrangea de façon à mourir vivante dans son lieu de bannissement. Elle recevait tout avec calme et indifférence, comme si elle n’eût plus appartenu au monde. »

Avions-nous tort de dire en commençant que vers le temps de Chrysostome la société et l’état byzantins prenaient définitivement tournure ? On vient d’exposer comment le byzantinisme, préparé depuis dix siècles, constitué lors du triomphe de la religion chrétienne, s’est successivement enrichi d’élémens nouveaux. L’un des plus considérables de ces élémens est la puissance politique et

  1. C’est Sergius qui fit rapporter à Constantinople les cendres d’Olympias et fixer au 14 septembre, jour de la mort de Chrysostome, la fête de l’exaltation de la croix reconquise.