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clergés assez différens. A Constantinople, le patriarche était d’ordinaire un grand personnage, qui, après avoir rempli les charges les plus élevées, venait terminer sa carrière dans la plus enviée des retraites. Pour ne pas déroger et pour maintenir son influence, il étalait dans l’église, comme naguère dans le prétoire, un luxe éblouissant, conviait à sa table les hauts fonctionnaires, et fréquentait le palais impérial. Le clergé qu’il avait sous ses ordres était, comme lui, élégant et mondain ; ses membres se poussaient auprès du prince, dont ils exploitaient la superstition et le désœuvrement ; tel était parvenu promptement à ses fins en exerçant la médecine ou la magie. Nulle part le désordre des sœurs agapètes ou femmes sous-introduites n’était plus invétéré et plus honteux. — Antioche était le théâtre des élections les plus scandaleuses et les plus violentes. Le peuple s’y divisait en factions rivales, ayant chacune leur candidat et l’intronisant par la force. — Le patriarche d’Alexandrie était en réalité l’exarque, d’autres disaient le pharaon de l’Égypte. Il tenait dans sa dépendance une multitude de matelots chargés du transport des blés de l’annone. Il pouvait donc, suivant son bon plaisir, activer, ralentir ou supprimer les convois. S’il était mécontent de l’empereur ou du patriarche de Constantinople, il affamait Constantinople. C’était en général un théologien retors, un philosophe alexandrin qui s’était laissé convertir. Il conduisait son clergé, les moines innombrables de cette contrée, avec une verge de fer. De loin en loin, il se montrait à Byzance pour y faire parade de ses richesses extorquées.

On voit combien de difficultés assaillaient Chrysostome. Celui-ci s’était peut-être proposé pour modèle Ambroise, l’illustre archevêque de Milan, devant lequel s’était humilié le grand Théodose ; mais il lui manquait ce qui avait été si largement départi à Ambroise, l’énergie calme et persévérante. De l’extrême violence, il passait, par entraînement de cœur, à l’extrême bienveillance. L’éloquence était pour lui un piège ; il sacrifiait trop à la mise en scène. Le premier peut-être il donna l’exemple de cette ingratitude ecclésiastique qui, affectant de mépriser ou rapportant à l’intervention directe de Dieu les faveurs de ce monde, se sent dégagée de tout scrupule à l’égard de très réels bienfaiteurs. On sait l’humiliation cruelle qu’il fit subir à Eutrope, réfugié dans l’église de Sainte-Sophie et presque agonisant. Il est équitable d’ajouter que, s’il ne ménageait pas l’infortune, il réservait ses rigueurs extrêmes pour les heureux et les puissans de la terre. Aussi tous les gens de cour s’éloignèrent de lui, et c’est à peine s’il conserva l’amitié de quelques ecclésiastiques rigides.

Contraste touchant et instructif : dès que Jean, quittant sa