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qui ont méconnu la nation à laquelle ils s’adressaient. Une école historique s’était formée vers 1825. Elle se proposait d’épuiser les recherches de tout genre sur un sujet préféré. Elle le méditait longuement ; elle vivait avec lui et en lui pour ainsi dire, elle le composait avec le soin raffiné de l’artiste, elle ne l’exposait aux regards du public qu’après avoir supprimé complètement l’échafaudage. Cette école évitait les dissertations ; elle avait une prédilection particulière pour le récit, où elle excellait. Elle débuta par deux œuvres remarquables : l’Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands et l’Histoire des Gaulois. Si on avait suivi la voie tracée par elle, non-seulement on aurait atteint le vrai, mais on l’aurait fait goûter. On eût combattu victorieusement le roman. L’esprit même de la nation eût subi une heureuse transformation.

Par malheur, cette école eut peu de disciples ; ce fut parfois une mode de la dénigrer. Ceux qui excellent à dresser des échafaudages et qui jalousent quelque peu l’architecte contestèrent la solidité de l’édifice, dès qu’ils ne virent plus l’appareil entier de la construction. Une erreur qui s’était glissée dans un long travail était signalée avec aigreur et avec éclat ; on était heureux. de triompher de l’art à peu de frais, de le déclarer nuisible et de reconduire. Tandis que des milliers d’écrivains sacrifiaient la pensée à la forme, nos critiques affectaient une complète indifférence pour la forme et pour la pensée.

La France se glorifie à juste titre de posséder des épigraphistes, des numismates, des paléographes de premier ordre. Ce sont là, je ne dirai pas des historiens, mais des préparateurs nécessaires de l’histoire. Il ne faudrait pas toutefois qu’une certaine archéologie préférât sottement les moindres informations tirées d’une monnaie, d’une médaille, aux œuvres les plus parfaites et les plus véridiques de l’antiquité. Il ne faudrait pas non plus que les habiles interprètes des monumens défigurés par les siècles déclarassent qu’il n’y a aucun secours à espérer d’un panégyrique ou d’un poème, quelque défectueux qu’il soit. A travers la phraséologie et la fiction, on peut, on doit atteindre la vérité. Que ce soit là une œuvre difficile, où un moraliste seul réussira, nous ne le nions pas ; mais la prétention de stériliser les annales du genre humain ne saurait être sérieusement discutée. Si elle venait à prévaloir, il ne nous resterait plus qu’à dresser des généalogies, des catalogues et des inventaires. Qu’on ne nous objecte pas que l’Allemagne, — que l’on copie d’une façon ridicule dès que l’on consent à ne point l’ignorer, — nous a donné l’exemple en cette matière. — Les Allemands sont de hardis métaphysiciens et d’habiles psychologues. Ils ne méprisent ni l’analyse morale, ni les systèmes transcendans. Ce