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qui avait voté contre lui ce que Casimir Perier, ministre de Louis-Philippe, disait à un membre de la majorité qui s’abritait derrière sa conscience contre le reproche de défection : « Vous dîtes que vous avez voté contre moi dans cette affaire, parce que vous pensiez que j’avais tort ; mais croyez-vous donc que nos adversaires votent pour moi quand ils trouvent que j’ai raison ? » C’est peut-être la plus grande difficulté du régime parlementaire que de concilier l’indépendance personnelle du député sur les questions spéciales avec le devoir de soutenir le gouvernement que l’on croit le meilleur dans l’intérêt général, permanent, du pays.

On devrait probablement signaler à ce propos une autre lacune dans le génie politique de Thorbecke. La question coloniale est de première importance en Hollande. De sa splendeur passée, ce pays n’a guère conservé qu’un diamant, mais un diamant de première grandeur et de la plus belle eau : c’est son empire colonial, et surtout Java, la reine de l’Océan indien. Les Néerlandais ont eu l’art de tenir sous leur sujétion au sud de l’Asie un territoire vingt ou trente fois plus grand que le leur, habité par 20 millions d’hommes, produisant et rapportant beaucoup. Leur régime colonial, quoi qu’on en ait dit, a été en somme un bienfait pour les populations indigènes ; ce n’était pourtant qu’un bienfait relatif. Basé sur le travail forcé, il devait engendrer fatalement des abus et des iniquités dont notre conscience moderne ne supporte pas la prolongation. De là de vifs débats entre les libéraux, qui voudraient, au nom de la justice, abolir ce régime quasi-féodal, et les conservateurs, qui craignent que cette abolition ne prive la mère-patrie des avantages qu’elle a jusqu’à présent retirés de sa belle colonie, et qui prétendent que le système en vigueur est au fond le plus approprié aux idées et aux mœurs des indigènes. Depuis plusieurs années, c’est dans le sens d’une série de réformes partielles que s’est prononcée la politique néerlandaise ; mais on ne peut pas dire que Thorbecke ait hâté ce mouvement d’émancipation. Il semble qu’il se défiait un peu de lui-même dans une question où il serait aussi imprudent de vouloir tout décider d’après nos maximes européennes qu’injuste d’abuser de l’état de minorité de toute une race pour faire peser sur elle un joug inique. C’est à propos de la question coloniale qu’il vit sa majorité se dissoudre en 1866. Le ministère qui lui succéda sous la conduite de M. Fransen van de Putte, que sa spécialité coloniale, son libéralisme avancé et ses talens personnels désignent comme le futur réformateur des colonies néerlandaises, ce ministère ne put longtemps se maintenir, la majorité lui fit aussi défaut. Suivit un nouvel interrègne conservateur, qui donna une preuve nouvelle de l’impossibilité d’une réaction sérieuse ; puis la formation