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eût son mot à dire. Des adresses revêtues de milliers de signatures furent envoyées au roi pour lui demander de maintenir l’honneur et les libertés du pays contre le vieil ennemi qui prétendait de nouveau lui faire la loi. Le roi, lors d’une visite qu’il fit à Amsterdam, s’exprima de manière à montrer qu’il épousait les griefs de la nation, et Thorbecke se vit forcé de donner sa démission. Sa position en effet n’était plus tenable. Beaucoup de ceux qui l’avaient suivi jusqu’alors hésitaient ou reculaient. Se mettre à la tête du mouvement anticatholique, il n’y pouvait songer. Il se retira donc, la seconde chambre fut dissoute, et les élections qui suivirent envoyèrent à La Haye une chambre, non pas réactionnaire, mais conservatrice et, si l’on peut ainsi dire, marquant le pas.

À moins de se lancer dans une voie d’oppression antipathique à l’esprit national, il n’y avait guère autre chose à faire, une fois la protestation enregistrée, qu’à s’accommoder à la situation nouvelle. Une loi assez anodine, qui déniait toute valeur officielle aux titres épiscopaux et assujettissait toutefois les titulaires à certaines conditions de résidence, fut tout ce qui résulta de l’agitation soulevée par le décret pontifical. Thorbecke rentra comme député à la chambre, et ce qui est caractéristique, c’est que, précisément pendant cet interrègne conservateur, un ministère composé de ses adversaires politiques présenta et fit passer cette loi sur l’instruction primaire qui compte parmi les plus libérales qu’il y ait en Europe, et que frappent aujourd’hui les anathèmes de tous les partis rétrogrades. Beaucoup de députés catholiques aidèrent à la faire accepter, sans prévoir, il est permis de le penser, l’opposition furieuse que peu d’années après leur clergé devait lui déclarer.

À son tour, le parti conservateur était trop peu uni, l’appui que lui prêtait l’orthodoxie protestante trop coûteux et trop dangereux, pour qu’il pût jouir d’une longue possession du pouvoir. Il en était un peu de lui comme du parti Tory en Angleterre, qui, lorsqu’il est rappelé au gouvernement, ne peut revenir sur les progrès accomplis, et se voit obligé d’appliquer des principes qui ne sont pas les siens, si même il n’est pas forcé de devancer les Whigs dans l’introduction des réformes populaires. Peu à peu le corps électoral et la chambre virent se reformer une majorité libérale décidée, et en 1862 Thorbecke, qui du reste n’avait pas cessé, comme chef de l’opposition gouvernementale, d’exercer sur la chambre une influence que ses adversaires eux-mêmes devaient subir, redevint le chef du cabinet. Il resta quatre ans à la tête des affaires. Ce qui le força à une nouvelle retraite, ce furent les dissensions du parti libéral. Sa majorité lui échappait trop souvent dans les occasions importantes. Il aurait pu mainte fois dire à plus d’un député libéral