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narchie française, pourtant si catholique, était en même temps très gallicane. En général, les libéraux hollandais de la génération qui nous précède considéraient le catholicisme comme une puissance du passé dont il était inutile de se préoccuper beaucoup. La saine politique, la justice, la tolérance, ordonnaient d’assurer à ceux qui le professaient encore la même protection, les mêmes droits, qu’aux adhérens des autres confessions ; il n’y avait plus rien de sérieux à craindre, pensaient-ils, d’une croyances battue en brèche par tous les vents et tous les courans de la pensée moderne. Thorbecke et ses amis ne devaient pas tarder à voir qu’ils avaient compté sans leur hôte.

Le pape Pie IX avait résolu de rétablir l’épiscopat néerlandais. En elle-même et à son point de vue, cette décision n’avait rien que de légitime. L’église catholique est épiscopale, et il est tout naturel qu’elle veuille établir des évêques dans les régions où il n’y en a pas. À ce même point de vue, le pape ne devait pas s’arrêter devant les réclamations du vieil épiscopat national d’Utrecht, condamné par ses prédécesseurs, et dont la légitimité, si facile à démontrer d’après les principes gallicans, ne pouvait un seul instant se soutenir dans la théorie ultramontaine. Puisque la nouvelle constitution néerlandaise tendait à se séparer de plus en plus de l’église de l’état, il eût été facile, en s’y prenant avec quelques ménagemens, d’habituer les esprits en Hollande à l’idée d’une reconstitution épiscopale ; mais il ne fallait rien brusquer. Si quelque chose était de nature à réveiller contre les catholiques les anciens soupçons, c’était tout ce qui eût ressemblé à un acte de pouvoir direct posé par la cour romaine en pleine terre hollandaise. Le gouvernement, averti par des rumeurs plutôt que par des communications officielles, avait pris les devans, et il croyait avoir obtenu de la cour papale la promesse que rien ne se ferait sans son aveu. Qu’arriva-t-il ? Pie IX, cédant à cet esprit d’absolutisme qui l’a si souvent poussé à procéder par de grands éclats, lança un beau matin le décret de constitution épiscopale, découpa le royaume en diocèses, nomma des titulaires, et dans l’allocution publique par lui prononcée à cette occasion, la nation néerlandaise comme telle, son histoire, son indépendance, ses plus glorieuses traditions, furent traînées dans la boue.

Ce qu’il était facile de prévoir ne manqua pas d’arriver. Les griefs que les adversaires du nouveau régime avaient tirés contre Thorbecke de sa condescendance pour les catholiques et de son indépendance vis-à-vis de la couronne devinrent tout à coup une arme formidable. La majorité protestante se sentit blessée, humiliée, et n’entendit pas que les choses se passassent ainsi sans qu’elle