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voir direct des chambres.

Ce n’est pas que Guillaume Ier visât à l’absolutisme, mais, fort de ses bonnes intentions, se voyant soutenu par la confiance populaire, il s’impatientait des obstacles que ce minimum de gouvernement représentatif opposait à la prompte réalisation de ses vues. Il ne supportait même qu’avec peine les objections respectueuses que lui faisaient parfois des hommes indépendans de caractère ou de position. C’est ainsi qu’on vit successivement s’éloigner des affaires des hommes éminens tels que Hogendorp, Falck, Roëll, Janssens, que l’on eût volontiers regardés comme les conseillers naturels de la politique royale.

On de demande peut-être comment s’explique la placide indulgence du peuple néerlandais, toujours si jaloux de ses libertés, et comment le roi demeurait populaire. Il y a bien des raisons de cette apparente anomalie. La principale, c’est qu’en Hollande la liberté est beaucoup plus ancienne dans les mœurs, dans la pratique de tous les jours, que dans les institutions. On n’y ressent pas au même degré qu’ailleurs le besoin pressant de changer celles-ci pour les mettre d’accord avec les théories libérales. Guillaume Ier, comme presque tous les princes d’Orange, connaissait bien son peuple. Il savait ce qu’il devait ménager chez lui, et il se gardait bien d’y toucher. La presse, par exemple, était libre, ainsi que la science ; l’administration, la police, du moins en Hollande, n’étaient ni oppressives, ni tracassières. Il y avait dans le gouvernement quelque chose de paternel, laissant en réalité une très large place à la liberté individuelle, celle à laquelle le Hollandais tient par-dessus tout, et respectant tout ce que la révolution avait laissé debout en fait d’anciens privilèges locaux ou personnels. Ajoutons que les nombreuses déceptions qui avaient suivi la révolution, les calamités dont le pays avait souffert sous le régime français, les efforts extrêmes qu’il avait fallu faire pour le secouer et défendre l’indépendance à peine reconquise, tout cela avait jeté les esprits dans cette apathie qui suit les grandes crises et propagé un certain scepticisme politique éminemment favorable aux agissemens d’un pouvoir personnel quelconque, à plus forte raison quand la personne qui l’exerce inspire une grande confiance. Enfin, par l’attitude qu’il avait prise contre les prétentions intolérantes de l’épiscopat belge, Guillaume Ier conservait au dedans comme au dehors de ses états la réputation d’un défenseur du libéralisme. On eût bien étonné la plupart des Néerlandais de ce temps-là, si on leur eût dit que leur régime constitutionnel n’était que pour la forme, et qu’en réalité le mode d’après lequel ils étaient gouvernés était contraire aux notions élémentaires du libéralisme politique. Le roi disait son gouvernement libéral, et le peuple en majorité le croyait sur parole.