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irréconciliables ? Les théories sociales qu’on y professe sont-elles plus dangereuses et plus détestables qu’ailleurs ? Le programme du parti radical n’est-il pas le même que chez les nations voisines ? Ou bien les conservateurs français sont-ils plus arriérés et plus rebelles aux idées modernes ? — En aucune façon. La France est au contraire au point de vue démocratique un des pays les plus avancés du monde. Il n’y en a pas d’autre en Europe où les distinctions sociales soient moins sérieuses, où le mélange soit plus grand entre les différentes couches du peuple ; il n’y en a pas où les principes d’égalité, qui sont le fond des idées républicaines et l’âme de la société moderne, soient plus profondément enracinés dans les esprits et dans les mœurs. A vrai dire, aucune de ces idées n’appartient en propre au parti radical ; on les respire dans l’air de la société française, elles sont devenues indispensables à son existence ; beaucoup de conservateurs les professent ouvertement, et, si elles rencontrent encore çà et là des adversaires passionnés, ces contradictions ne servent qu’à prouver leur puissance. Comment se fait-il donc que les radicaux parviennent à en faire un épouvantail pour le pays ?

Cela tient surtout à la manière dont ils les enseignent et à l’attitude belliqueuse qu’ils se croient permis de prendre à l’égard du reste de la nation. Rien ne leur serait plus facile que d’offrir aux conservateurs un arrangement équitable, et de faire prévaloir pacifiquement celles de leurs idées qui sont mûres ; mais beaucoup d’entre eux aiment mieux les proclamer sur un ton dogmatique et menaçant et repousser tout essai d’entente comme une trahison ou un sacrilège. Au lieu de se présenter modestement comme des hommes de bon sens et de bonne foi, ils aiment à envelopper leurs doctrines d’une phraséologie pompeuse qui déguise aux yeux de la foule ce qu’elles ont de vague ou de banal. Ils enflent orgueilleusement la voix comme les prophètes d’une religion nouvelle, et ils accablent de leurs foudres quiconque n’adhère pas aveuglément au credo de leur église. Ils sont comme toutes les sectes religieuses, il leur faut la foi du charbonnier ; ils préfèrent à l’adhésion réfléchie des esprits éclairés le fanatisme ignorant et l’enthousiasme pour ainsi dire physique de la multitude. Ils veulent avoir des soldats plutôt que des alliés, des serviteurs dociles plutôt que des conseillers indépendans et sévères, et en dehors du troupeau de leurs fidèles il n’y a guère pour eux que des ennemis. C’est ainsi qu’ils font des idées les plus simples, les plus libérales, les plus pratiques (et il y en a quelques-unes dans leur programme), un objet d’effroi pour les gens timides et de répulsion pour ceux même qui ne seraient pas loin de les admettre. Ils semblent avoir peur de perdre leur prestige en laissant pénétrer des étrangers dans le temple. On dirait