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offre encore aujourd’hui à ceux qui savent en interroger les résultats avec discernement.

Tout ne s’était pas borné pourtant, durant la période révolutionnaire, à ces mesures prescrites par les lois nouvelles, à ces confiscations et à ces envois du dehors. Les terribles secousses qui, sur le sol de la France entière, venaient de jeter bas tant d’hommes et de choses, avaient eu leur contre-coup à l’intérieur de la Bibliothèque, et parmi les anciens fonctionnaires de l’établissement restés à leur poste comme parmi ceux qu’installait à tour de rôle l’administration girondine ou montagnarde, plus d’un était tombé victime de son passé ou de la situation que les événemens récens lui avaient faite. Tandis que Chamfort et le conventionnel Carra, revêtus tous deux après le 10 août du titre de bibliothécaire national, payaient de leur vie, au bout d’une année seulement d’exercice, la modération relative de leurs opinions ou de leurs actes[1], tandis qu’à la même époque Girey-Dupré, sous-garde au département des manuscrits, était condamné à mort par le tribunal révolutionnaire, — le docte ; Van-Praët, alors au début de sa carrière, l’illustre abbé Barthélémy lui-même, malgré l’éclat de ses services et la majesté de ses soixante-dix-sept ans, son neveu, Barthélémy de Courçay, adjoint à la garde du cabinet des médailles, d’autres employés supérieurs encore étaient jetés en prison. Plus tard, c’est l’orientaliste Lefèvre de Villebrune, nommé bibliothécaire national sur la recommandation de Robespierre, que la chute de son sinistre patron et ses propres essais à la Bibliothèque de dictature terroriste entraînent à une démission trop bien justifiée aux yeux de tous, en attendant l’arrêt de proscription qui devait le frapper sous le directoire. Partout l’instabilité dans les procédés administratifs aussi bien que dans l’influence des hommes appelés à les employer, partout. un régime d’anarchie, de violences contre les individus, remplaçant la sage discipline de l’ancien temps, et au milieu de ces perturbations ou de ces vengeances quelques efforts seulement tentés par d’obscurs survivans du passé pour défendre ce qui peut être préservé encore,

  1. Chamfort, arrêté une première fois en 1792 et relâché après une détention de quelques jours, fut de nouveau décrété d’accusation l’année suivante. A la vue des gendarmes chargés de s’emparer de sa personne, Chamfort, sous prétexte de quelques préparatifs, passe dans une pièce reculée de son appartement et décharge à bout portant sur son front un pistolet dont la balle lui fracasse une partie du crâne et lui crève un œil sans atteindre la cervelle. Désespéré de vivre encore, il se saisit alors d’un rasoir et se déchire la gorge à coups redoublés ; mais la mort continue de se refuser à l’appel de ses mains furieuses. Elle ne vint pour lui qu’au bout de trois mois d’horribles souffrances. — Quant à Carra, on sait que, traduit devant le tribunal révolutionnaire avec vingt de ses collègues appartenant comme lui au parti de la Gironde, il les suivit sur l’échafaud, où ils montèrent le 31 octobre 1793.