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Son principal mérite consiste au contraire à en effacer les dernières traces en achevant dans les esprits une révolution depuis longtemps consommée dans les faits. C’est donc lui rendre an mauvais service et commettre une mauvaise action que de représenter la France, ce pays où la plus complète égalité règne dans les droits politiques non moins que dans les droits civils, comme un peuple d’ilotes à peine affranchis, et obligés encore d’opprimer leurs maîtres pour n’être pas ramenés sous le joug. Ces déclamations troublent les esprits, égarent les consciences, pervertissent le sens politique, et nuisent en définitive au parti qui les emploie, puisqu’elles font durer les malentendus qui ont si longtemps rendu la liberté suspecte et la république odieuse au pays. Non, il ne sert de rien aux républicains de calomnier la France ? ils devraient laisser ce triste rôle aux amis de l’empire et à tous les partis d’aventure qui spéculent sur la haine des classes, L’heure est venue d’en finir avec ces lieux-communs malfaisans dont la démagogie et le despotisme se servent tour à tour pour nous dominer, et c’est à la république qu’il appartient de nous en délivrer. Elle seule peut réconcilier les diverses branches de la famille française en leur faisant voir que nos divisions sont moins profondes et moins irrémédiables que nous ne le pensons. Elle manquerait à son devoir, elle trahirait sa propre cause, si elle souffrait qu’on vînt en son nom ranimer les inimitiés qu’elle doit éteindre.

Si l’on regarde sérieusement au fond des choses, au lieu de s’en tenir aux préjugés vulgaires et aux habitudes prises, on s’aperçoit avec étonnement que nos divisions de partis tiennent beaucoup moins encore à nos doctrines politiques qu’à la fausse opinion que nous avons les-uns des autres et à la ridicule frayeur que nous nous inspirons mutuellement. Au rebours de ce qui devrait se passer dans un pays libre, les questions de personnes l’emportent presque toujours sur les questions de principes, et, lors même qu’ils sont près de s’accorder sur le fond des choses, les partis tiennent à rester isolés et à se faire passer pour ennemis. L’absence de mœurs publiques sérieuses, le défaut de patience et de mesure, telle est la principale, sinon l’unique raison de nos discordes. Pourquoi la France en effet serait-elle moins unie que les autres nations ? Pourquoi serait-elle condamnée à un régime de provocations perpétuelles ? Pourquoi n’arriverait-elle pas à ce paisible échange des idées qui établit, dans les pays libres, un lien moral entre les opinions contraires, et qui leur permet de résoudre ensemble le grand problème des sociétés modernes en mélangeant dans une juste mesure la conservation et le progrès ? Quel est donc l’obstacle inconnu qui s’y oppose ? Où sont dans la société française, les élémens