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Chancey, elle fut donnée à un homme que sa probité, heureusement beaucoup plus sévère que son talent, rendait digne de l’occuper, — au peintre Charles-Antoine Coypel, déjà garde des dessins du roi, et qui se trouva ainsi cumuler avec ses anciennes fonctions celles que lui imposait son nouveau titre.

C’était la première fois d’ailleurs qu’un artiste de profession était appelé à prendre la direction du cabinet des estampes. Depuis 1720, époque de la constitution de ce cabinet en un département séparé de ceux qui comprenaient les livres imprimés et les manuscrits, trois gardes, — Le Hay, Ladvenant et l’abbé de Chancey, — s’étaient succédé dans la charge confiée maintenant à Coypel ; mais, comme Clément, qui l’avait remplie avant eux, bien qu’avec des attributions un peu différentes et dans des conditions d’indépendance moins formelles, comme tous les fonctionnaires attachés au service des autres départemens, ils avaient été choisis en considération de certains mérites d’un ordre purement scientifique ou littéraire[1]. Aucun d’eux ne possédait, au moment de sa nomination, l’expérience de l’art, j’entends les connaissances spéciales que donne la pratique. Si des études préalables avaient familiarisé chaque nouveau titulaire avec les questions de chronologie et d’histoire, ce qui concernait expressément la partie technique, l’authenticité ou la valeur intrinsèque des monumens recueillis, pouvait bien, le cas échéant, trouver sa clairvoyance en défaut.

Or Coypel, en sa double qualité de peintre et de graveur, offrait à cet égard des garanties dont on avait raison de tenir compte, quelque peu conformes aux traditions des maîtres que fussent d’ailleurs ses œuvres personnelles et sa manière. Ajoutons que le peintre d’Adrienne Lecouvreur et des Aventures de don Quichotte s’était donné à ses heures les apparences d’un homme de lettres, et qu’une vingtaine de tragédies, de comédies ou de poèmes sortis de sa plume pouvaient à la rigueur lui servir de laisser-passer dans la docte compagnie que présidait l’abbé Bignon. Il ne paraît pas néanmoins que le séjour de Coypel à la Bibliothèque ait rien produit du bien que l’on s’en promettait. Soit que les occupations ordinaires du garde des dessins aient nui forcément à la tâche que devait accomplir le garde des estampes, soit que les efforts pour effacer les traces des dilapidations commises par l’abbé de Chancey aient absorbé tout le temps et tout le zèle de son successeur, celui-ci ne

  1. Avant de prendre la direction du cabinet des planches gravées et estampes, — le premier en 1720, le second en 1723, — Le Hay avait appartenu au département des imprimés, et Ladvenant était commis, sous les ordres de de Boze, au cabinet des médailles, alors établi dans le palais de Versailles. Quant à l’abbé de Chancey, il est présumable qu’il ne fit partie du personnel de la Bibliothèque qu’à partir de 1731, époque de sa nomination aux fonctions de garde du cabinet des estampes.