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concentrer tous leurs efforts sur les candidatures purement radicales. C’est le résultat inévitable des lenteurs et des intrigues royalistes. Chaque jour dépensé par l’assemblée en récriminations et en vaines querelles ajoute aux forces du parti radical, et lui donne la tentation de s’en servir, non-seulement contre la monarchie, mais bien contre la république conservatrice elle-même.

Néanmoins, si les républicains se placent à un point de vue plus élevé, s’ils pensent un peu davantage à l’avenir, à la durée de cette république qu’ils semblent aimer d’un si fervent amour, et dont l’intérêt ne peut pas être séparé de celui du pays, ils s’apercevront qu’ils doivent rester fidèles à la politique conservatrice, et qu’un retour pur et simple à la politique radicale ne leur offrirait que des satisfactions d’amour-propre, achetées au prix de la tranquillité de la France et peut-être du salut de la république. Ils verront que tout leur commande de résister à la tentation d’un succès éphémère, bientôt suivi de quelque catastrophe. Ils se garderont même, s’ils sont sages, de triompher trop bruyamment des victoires de la république, et ils s’appliqueront avant tout à faire mentir les propos qui les représentent comme des comédiens de modération, prêts à se ruer sur le pouvoir et à bouleverser la société.

Pourquoi ? Parce que la France a besoin de repos, et qu’elle a peur de ce qui pourrait la troubler. Un de leurs chefs le leur disait, il y a peu de jours, dans un discours ou la sagesse se mêle étrangement à la violence et où le bon sens de l’homme politique semble dominé trop souvent par les emportemens du démagogue et les rancunes de l’homme de parti. La France a peur ; la longue habitude du pouvoir absolu, l’expérience fréquente des révolutions soudaines, l’absence des longues traditions politiques, l’ont rendue prudente et même timide ; les malheurs sans précédens qui viennent de l’accabler lui ont fait de ce défaut une nécessité et presque une vertu. Elle a besoin de se recueillir et de reprendre ses forces. Toute opinion qui essaierait brutalement de s’imposer à cette nation convalescente ne réussirait qu’à l’épouvanter. C’est apparemment pour cette raison que le chef de la gauche radicale, ajoutant l’exemple au précepte, accompagnait ces sages avis d’un flot de paroles intolérantes et belliqueuses, propres à semer partout l’inquiétude. C’est également dans ce dessein, du moins il faut le croire, qu’il terminait sa pacifique harangue par une excommunication solennelle, urbi et orbi, contre tous les mécréans monarchistes qui pourraient essayer de se glisser dans la république, sans avoir fait pénitence à la porte de l’église, et humblement confessé leurs erreurs.