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quelqu’un sache le grec sans savoir le latin ; il semble que ce soit comme celui qui se parerait du superflu sans avoir le nécessaire. Les rapports de filiation entre le latin et le français sont tellement intimes que l’on conçoit difficilement une étude approfondie du français sans la connaissance du latin. Enfin la langue du droit est toute latine, et ce serait là, je crois, une raison déterminante en faveur du latin en cas de concurrence entre les deux langues.

On demandera si l’on peut laisser aux élèves le choix des matières de l’enseignement ; nous répondons oui sans hésiter. Comme il s’agit de matières que par hypothèse nous supposons des matières de luxe, il n’est pas nécessaire qu’elles soient choisies par les mauvais écoliers, et elles seront inévitablement choisies par les bons. Tous ceux qui composent une tête de classe tiendront à honneur, on peut en être assuré, de savoir du grec ; ils y seront encouragés par les concours et les prix. On peut d’ailleurs en outre assurer, à l’examen du baccalauréat ès-lettres, un coefficient supérieur[1] à celui qui présenterait l’étude du grec. En général, il est permis de croire que le principe du facultatif doit jouer dorénavant un rôle Important dans nos études. Dans un système aussi encombré que le nôtre, le bon sens indique qu’il viendra un moment où l’on fixera un certain nombre de matières strictement obligatoires, en laissant le reste au libre choix des écoliers. A l’aide de ce principe, on pourrait maintenir l’art d’écrire en latin, au moins pour les élèves distingués et pour ceux qui se destinent à une profession savante.

Si ces vues étaient admises, voici comment je me représenterais l’organisation future de nos écoles. Comme bases fondamentales, deux langues obligatoires, l’une ancienne, l’autre moderne, soit par exemple le latin et l’allemand, le grec et l’anglais, comme on voudra. La langue moderne serait étudiée au point de vue de l’utilité pratique, pour être comprise et parlée, si possible était. La langue ancienne serait étudiée au point de vue moral et esthétique, et dirigée surtout vers la lecture des auteurs : l’une et l’autre langue d’ailleurs serviraient, bien entendu, par voie de comparaison à perfectionner la connaissance du français. Tous les exercices d’imagination et d’invention se feraient en français et seraient obligatoires pour tous, car, si tous ne sont pas tenus d’avoir du talent, tous doivent arriver à exprimer leurs idées avec correction et naturel. Il nous semble que l’enseignement ainsi limité ne serait pas trop chargé lors même qu’on y ajouterait, comme il est juste, l’histoire, la géographie et les sciences, le tout dans une mesure convenable et sans développemens exagérés. A côté et au-delà de ces matières

  1. Ce qui serait mieux encore, ce serait deux degrés de baccalauréat, l’un strictement obligatoire, le second ad honores, comme en Angleterre.