Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

germanique et le monde anglo-américain, qui l’un et l’autre ont à peine cent ans d’existence. Pouvons-nous, comme une nouvelle Chine, rester étrangers à des faits si importans, si prodigieux ? Et n’y resterions-nous pas étrangers, si nous ignorions les langues de nos voisins ?

Toutes ces raisons, et bien d’autres qui se présenteront à l’esprit de tout le monde, ont amené peu à peu l’Université à donner droit de cité à ces différentes études ; mais, tout en leur faisant une part, on maintenait intact l’enseignement des langues anciennes. On ajoutait toujours sans rien retrancher ; les choses se tassaient comme elles pouvaient. On grapillait un peu sur tout. Les élèves d’ailleurs, malgré les programmes, n’en prenaient guère que ce qui leur plaisait. Les choses auraient pu durer ainsi longtemps, car aucun peuple ne se met de gaîté de cœur à changer son système d’éducation. Il fallait une circonstance déterminante qui, donnant à la crise un caractère aigu, appelât les esprits et amenât l’administration elle-même sur le terrain d’une sérieuse réforme. Cette circonstance a été la guerre de 1870.


I

On se demandera quel rapport il peut y avoir entre la guerre récente et les vers latins : ce rapport si peu apparent n’en est pas moins réel. L’éducation était encombrée, le vase était comble ; il suffisait d’une goutte d’eau pour le faire déborder. Cette goutte d’eau a été la nécessité où l’on s’est trouvé de rendre l’étude des langues vivantes obligatoire. Le jour où cette obligation a été décrétée, et elle ne pouvait pas ne pas l’être, nous avons prévu que dans un temps plus ou moins proche une modification profonde serait apportée à nos études classiques. M. Jules Simon, qui est un esprit circonspect et conservateur, a voulu se donner le temps de réfléchir ; mais, comme c’est aussi un esprit net et judicieux, il a vu qu’on ne pouvait introduire cette grande nouveauté et la faire réussir que par des sacrifices d’un autre côté. C’était inévitable, et tout ministre dans la même situation, quelles que fussent ses sympathies personnelles, eût été inévitablement entraîné aux mêmes conséquences ; La France en effet, la France, à tort ou à raison, regarde aujourd’hui la connaissance des langues vivantes comme une condition de sa sécurité et de son salut. Tout le monde a été frappé de ce fait saisissant dans la guerre de 1870, c’est que les Allemands savaient le français, et que les Français ne savaient pas l’allemand. Je veux bien que ce fait ait été exagéré : il n’en est pas moins vrai dans sa généralité ; il est vrai que, longtemps avant d’en avoir honte, nous en tirions vanité. Il n’est personne qui