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FRINKO BALABAN.

autres femmes me plaît aussi. Au château, je puis gagner de belles nippes, un foulard neuf, un collier de corail, voire une pelisse…

— Qu’as-tu besoin de collier, m’écriai-je, ou d’autres parures ?

— Telle que je suis, je ne plais à personne ! répondit-elle.

— Celui-là ment, qui ose dire cela ! — Et le feu me monta au visage. J’étais déjà épris d’amour ; je savais maintenant ce qui me restait à faire. Je me rappelai les vieilles légendes et les chansons, où le tsar aborde la tsarevna et le pauvre pêcheur la pêcheuse, les mains pleines de beaux présens, et je mis sou sur sou en attendant le jour des Rois.

Ce soir-là, je fus le premier à me barbouiller de noir. Le diak m’avait prêté une nappe d’autel rouge qui me fit un beau manteau, et je me coiffai d’une immense couronne de papier doré à pointes ; je représentais le roi more, et j’avais avec moi deux bons camarades, Ivan Stepnouk et Pazorek, qui étaient les deux rois blancs, très bien attifés aussi, puis mon cousin Yousef, celui qui est mort de la petite vérole, et qui faisait notre valet, un vrai moricaud. C’est lui qui portait les présens des rois mages. Nous nous mîmes donc en route, entonnant à tue-tête notre chanson, et Pazorek nous précédant avec l’étoile au bout d’une longue perche. Comme nous entrâmes chez la Catherine, ce furent des cris ! Les filles se dispersèrent comme une bande de perdrix ; mais le père, le vieux, riait, et il prit sur la planche la bouteille d’eau-de-vie pour nous régaler. Pendant que les autres trinquaient avec lui comme il convient, je pris Catherine poliment par la main, lui fis ma révérence, et débitai mon discours. « Je te bénis, fleur d’Occident. Nous, les rois d’Orient, suivant l’étoile qui nous conduit vers notre Sauveur, nous sommes venus dans ce pays, où nous avons entendu parler de ta beauté et de ta vertu, et nous sommes entrés dans ta chaumière pour te saluer et t’offrir nos dons. » À ces mots, je fis signe à notre moricaud d’approcher, et je tirai de sa torba[1] un large et beau foulard rouge que je présentai à Catherine, puis j’en tirai encore trois magnifiques fils de corail rouge, que je lui présentai également. J’avais acheté tout cela de mes deniers comptans à Kolomea. Ma Catherine baissait la tête en rougissant jusqu’à la racine des cheveux, et d’un air embarrassé serrait les deux mains entre ses genoux ; mais elle dévorait le foulard et le collier des yeux. Je l’attirai près de moi sur la banquette du poêle, je déposai gentiment mes présens sur son tablier, et nous échangeâmes de beaux discours. « Belle tsarevna, lui disais-je, l’année prochaine je vous apporte une pelisse de zibeline ou d’hermine blanche, comme vous l’ordonnerez. » Et elle répondait : « Grand roi des Mores, je ne suis

  1. Besace.