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loyal à l’égard de la France ? Il s’agissait bien alors, pour un gouvernement patriote, de faire les affaires des républicains ou des royalistes ! L’homme à qui la confiance nationale imposait la glorieuse et lourde tâche de sauver le pays avait bien à se préoccuper de ses devoirs envers telle ou telle coterie politique ou parlementaire ! Il devait avant tout faire accepter la trêve ; pour cela, il ne devait devenir l’instrument d’aucun parti, pas plus du parti républicain que d’aucun parti monarchique. La république, quoique indispensable, ne devait pas être celle des républicains tout seuls, celle d’une faction suspecte ; elle devait être celle de tout le monde. C’est ce que M. Thiers exprimait alors par cette formule célèbre dont on a tant abusé depuis : « la république sans les républicains, » c’est-à-dire, non pas, comme on a paru le croire, une république hostile aux républicains, les proscrivant, leur faisant la guerre et les chassant de son sein, mais bien une république dégagée des passions et des illusions républicaines, affranchie du joug de la tradition révolutionnaire. Voilà quelle république il fallait pour le salut de la France, et c’est encore celle qu’il nous faut aujourd’hui.

Ou bien la trêve de Bordeaux devait être rompue dès l’origine, ou bien elle devait finir par s’imposer d’elle-même à tous, comme la meilleure solution définitive à nos longues perplexités. Une fois les partis domptés, les discussions calmées, la paix publique assurée par le régime actuel, quel homme de bon sens pouvait refuser de consolider ce régime pour courir les hasards d’une révolution nouvelle ? Comme dit le proverbe, le mieux est l’ennemi du bien. Les conservateurs, qui passent pour des hommes sages, devaient donc tout les premiers se rallier à la république de M. Thiers. Le concours des républicains était plus douteux. Il se pouvait qu’une telle république ne fût pas de leur goût, et qu’ils lui fissent la guerre. C’était la seule chance sérieuse qui restât à la monarchie. En ce cas seulement elle reprenait ses droits, et les conservateurs pouvaient essayer de revenir à leurs anciennes affections.

Jusqu’ici, malgré quelques brutalités de langage au fond sans grande importance, et qui passeraient presque inaperçues dans un pays moins prompt à s’alarmer que le nôtre, les républicains se sont refusés obstinément à fournir aux royalistes l’occasion désirée. Il est arrivé une chose à laquelle on ne s’attendait guère : ce sont les conservateurs qui ont attaqué le gouvernement de « la république sans républicains ; » ce sont les républicains de la veille qui l’ont accepté et soutenu. Ce sont les hommes modérés qui se sont montrés exclusifs, défians, irréconciliables ; ce sont les hommes violens qui ont montré de la patience et de l’abnégation. On assure qu’ils sont fatigués de ce rôle, et que l’ancien naturel va bientôt