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II

On a déjà vu la première idée qui s’est produite à l’annonce de l’entrevue des trois empereurs, ce souvenir confus de la sainte-Alliance, la pensée bizarre que les trois monarques, par cela seul qu’ils étaient les héritiers des trois signataires de l’acte de 1815, et comme si tout n’était pas changé entre eux de fond en comble, allaient se concerter pour gouverner l’Europe. Un examen attentif ayant écarté cette chimère, on se demanda quelle avait été tout d’abord l’inspiration du cabinet de Berlin, si les empereurs de Russie et d’Autriche avaient été invités en même temps, si l’un et l’autre avaient dû accepter cette invitation avec des sentimens pareils.

À ces questions, un journal viennois fait une réponse d’une netteté singulière. Ce journal, un des recueils politiques les plus estimables de l’Autriche, est intitulé la Réforme. J’ai déjà eu l’occasion, il y a quelques années, à propos des luttes de la Bohème contre le dualisme austro-hongrois, de signaler le rare mérite du rédacteur en chef de la Réforme, M. Franz, Schuselka ; depuis les désastres de la France, M. Schuselka s’est acquis de nouveaux titres à l’estime de tous les esprits indépendans. Il n’a pas craint de rompre en visière à ses compatriotes. Les Allemands de l’Autriche, éblouis par les victoires de la Prusse, se laissent attirer ou plutôt se précipitent aveuglément vers l’empire d’Allemagne ; M. Franz Schuselka est fidèle à l’Autriche. Allemand d’origine, de langue, de culture, il est dévoué avant tout à cette monarchie autrichienne que tant de périls menacent, et qui pourrait rendre, si elle se relevait, de si grands services à l’indépendance de l’Europe. Il cherche ardemment par quelle voie elle pourra se sauver. Le système actuel du dualisme lui paraît une cause de ruine ; il l’attaque sans relâche et lui porte de terribles coups. Les passions prusso-germaniques lui font horreur, il ne manque pas une occasion de les flétrir. Intrépide en face des Allemands fanatisés, il a montré un courage plus grand encore ; il est impartial pour les Français. Au mois de septembre 1870, au moment où les Prussiens commençaient le siège de Paris, la Réforme publiait un article sur les sympathies qui s’attachaient en Europe à l’une ou à l’autre des puissances belligérantes, et il établissait que presque dans toute l’Europe les peuples faisaient des vœux pour nous, tant les Prussiens excitaient de répulsion. On n’était pas fâché de voir nos vanités punies, notre orgueil humilié ; mais voir la France, la nation humaine et généreuse entre toutes, écrasée par la Prusse au point de ne plus pouvoir tenir sa place dans le monde, non, non, disait la Réforme ; on n’y