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constitutionnelles A Naples, à Turin, à Madrid, comme à Francfort ou à Saint-Pétersbourg, elle veillait sur le mouvement des idées. Il est vrai qu’après avoir longtemps comprimé les aspirations du XIXe siècle, elle essuya plus d’un revers ; l’esprit nouveau emportait tous les obstacles. Les monarques alliés virent l’Angleterre en 1823, à propos de la guerre d’Espagne, poser résolument le principe de non-intervention, ce qui était en réalité un démenti formel au premier article de leur credo, et si la révolution de 1830 est demeurée populaire pendant plusieurs années et chez nous et en Europe, c’est qu’elle a été la plus éclatante défaite de la sainte-alliance. Malgré ces échecs, on peut dire que la sainte-alliance a maintenu, même en face de la révolution de 1830, même en face de la révolution de 1848, le dessein primitif, le principal dessein de son programme. Si elle n’a pas empêché l’établissement des monarchies constitutionnelles en Europe, elle a empêché que les changemens accomplis en France n’eussent leurs contre-coups au-delà de nos frontières. La France avait pu passer des Bourbons de la branche aînée aux Bourbons de la branche cadette, de ceux-ci à la république et de la république à l’empire, sans que les monarchies du reste de l’Europe fussent sérieusement ébranlées. À part la Belgique et l’Espagne, qui après 1830 avaient placé sur le trône des dynasties nouvelles, les anciennes familles souveraines avaient maintenu leurs droits. La légitimité, — c’était avant tout le drapeau de la sainte-alliance, — la légitimité n’avait pas subi d’atteinte.

Mais qu’est devenu tout cela depuis une quinzaine d’années ? La révolution a reparu sous une forme extraordinaire. Au lieu de la révolution par en bas, c’est la révolution par en haut. Qui dit révolution dans le langage de la sainte-alliance dit le mépris des droits séculaires, la suppression des trônes, la dépossession des familles souveraines, tous les bouleversemens que Napoléon Ier avait introduits dans l’Europe centrale au nom de la révolution française. La mission que s’était donnée la sainte-alliance consistait précisément à restaurer ces pouvoirs légitimes et à ne plus permettre qu’ils fussent amoindris. Eh bien ! ce que la sainte-alliance voulait restaurer et défendre, ce principe de la légitimité qu’elle se proposait de rendre inviolable, c’est une des puissances signataires du mystique traité de 1815 qui l’a foulé aux pieds avec une audace sans exemple. Un monarque légitime, le propre fils de celui qui avait contracté de si religieux engagemens au nom de la fraternité des rois et des peuples, renverse des trônes, détruit des souverainetés, subordonne et médiatise des princes dont le droit, au point de vue de la sainte-alliance, est égal au sien. Voilà ce qu’on peut appeler la révolution par en haut. Quand Napoléon Ier rendait et exécutait de pareilles sentences, c’était la révolution par en bas,