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LA PRESSE ALLEMANDE
ET
L'ENTREVUE DES TROIS EMPEREURS


I

Le soir du 18 octobre 1813, lorsque le prince de Schwarzenberff Vint annoncer à l’empereur de Russie, à l’empereur d’Autriche et au roi de Prusse, réunis sur une colline aux environs de Leipzig, que l’effroyable lutte engagée depuis trois jours se terminait enfin par la victoire de leurs armes, les trois souverains descendirent de cheval et s’agenouillèrent pour rendre grâce à Dieu. L’empereur de Russie Alexandre Ier était une âme religieuse et un esprit chimérique ; c’est dans ce moment solennel, au bruit des derniers coups de canon, en face de ce champ de bataille où étaient couchés plus de cent mille morts et blessés, qu’il conçut l’idée de la sainte-alliance. Consacrer à Dieu l’amitié des trois puissances unies pour renverser le géant, faire de cette consécration le point de départ d’un monde nouveau, opposer ou plutôt substituer cette ère meilleure a celle que la révolution française avait promise à l’univers, enfin confier la magistrature suprême de l’Europe à trois souverains qui représentaient les trois églises de la chrétienté, c’était là un rêve qui devait séduire l’imagination de l’empereur orthodoxe. Cette idée vraiment russe ne pouvait d’ailleurs que trouver un bon accueil auprès de l’empereur d’Autriche François Ier et du roi de Prusse Frédéric-Guillaume III. Elle ne se réalisa pourtant que deux années plus tard. Napoléon, au lendemain de Leipzig, était encore assez redoutable pour troubler les rêves de ses ennemis. Sur la route de Champaubert et de Montmirail, il y avait d’autres combinaisons à poursuivre. Même après la victoire, des intérêts plus pressans réclamaient les soins des souverains alliés. Les discussions du congrès de Vienne