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M. Strauss, par lui estimé et vivement regretté. Le fragment est intitulé Années de jeunesse, et dans cette jeunesse, est-il nécessaire de le dire ? il n’y a point de place pour les illusions légères ou les aimables erreurs. Le séminaire, l’université, les cours, les professeurs, l’influence qu’ils ont exercée sur la pensée, les transformations que celle-ci a subies, voilà les principaux traits du tableau. Cette adolescence sévère ne connaît pas les émotions de l’imprévu. Il s’y rencontre des momens de crise, des incidens inattendus, — mais c’est l’apparition d’un nouveau livre de philosophie ; les correspondances secrètes ont pour sujet ce qu’il faut penser de la personnalité de Dieu. Les détails dans lesquels l’auteur entre sur le séminaire de Blaubeuren et le régime de l’établissement, la distribution des leçons, ne seront peut-être pas du goût de chacun ; nous regretterions qu’il eût renoncé à nous initier aux rigueurs de ce cloître protestant, aux sévérités de ce noviciat pendant lequel l’emploi de chaque journée est réglé, le nombre des heures de travail fixé, les heures du lever et du repos marquées par la cloche, les jours se suivant dans leur monotonie, sans nulle trêve, puisque le dimanche ne fait pas même exception.

Il est possible que cette claustration ait eu des inconvéniens. Il apparaît néanmoins par le récit de l’auteur, par les détails qu’il donne sur ses condisciples, que l’on sortait de là avec une instruction solide, une connaissance réelle des langues et de l’antiquité, un esprit préparé aux problèmes de la philosophie et de l’histoire. La biographie de Mærklin, dont le traducteur a détaché plusieurs fragmens, suit au-delà des études et dans les fonctions pastorales une de ces carrières commencées au séminaire. Rien de saillant dans la vie extérieure de ce pasteur d’une petite ville, ecclésiastique dévoué à ses fonctions, prédicateur écouté, et heureux de se sentir soutenu dans son office par son talent naturel d’orateur, de plus homme de science consacrant aux études supérieures les heures que lui laisse le soin de sa paroisse. Un seul incident trouble la régularité de cette vie, — le pasteur résigne ses fonctions et s’engage dans une autre carrière. Cette résolution fut la suite d’une crise morale et intellectuelle. L’intérêt principal du récit repose encore sur le travail intérieur accompli dans un esprit qui se développe et mûrit dans la solitude, sans précipitation et sans passion. Involontairement on s’intéresse à ce pasteur faisant tous ses efforts pour concilier sa prédication avec ses vues philosophiques et, à un certain moment, persuadé qu’il est arrivé au but. S’attachant aux doctrines d’un philosophe berlinois qui a exercé, il y a quelques années, une autorité considérable sur les esprits, il crut avoir découvert une solution aux incertitudes qui troublaient sa tranquillité. La difficulté, en effet, se trouvait singulièrement atténuée par la distinction établie entre la vérité essentielle et universelle contenue dans les documens bibliques, et le récit des faits et des