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de peine à les comprendre, et il le prouve en accordant sa confiance à la politique du gouvernement. La république conservatrice est la mort des anciens partis : il n’est pas étonnant que les anciens partis la méconnaissent. Elle n’est autre chose au fond qu’un terrain commun ouvert à toutes les opinions légales, une reconstitution de l’opinion publique sur des bases meilleures et plus solides. Ce n’est pas une forme de gouvernement, ni un système d’institutions d’un nouveau genre ; c’est quelque chose de plus, c’est un renouvellement complet des mœurs et des idées politiques de la France. Les constitutions ont leur utilité ; mais les mœurs publiques d’un pays sont une chose bien plus importante que les systèmes politiques. Ce sont donc les mœurs qu’il faut réformer tout d’abord en faisant prévaloir un gouvernement sensé, calme, impartial, qui remette, pour employer une expression familière, les anciens partis à leur place, qui les dégoûte de la violence en la rendant inutile, et qui leur enseigne par son exemple la puissance d’une politique modérée.

Faut-il une définition plus claire ? La république conservatrice n’est autre chose que la trêve actuelle transformée en paix définitive. Bien loin d’y trouver la violation des promesses faites par le pouvoir aux chefs des anciens partis, on ne doit y voir que la conséquence naturelle de leurs sacrifices réciproques et de leur besoin d’union. En leur faisant accepter une suspension d’armes, le gouvernement préparait par là même leur pacification future. La fameuse trêve de Bordeaux n’aurait été qu’un leurre pour le pays, si elle ne devait être qu’un entr’acte entre deux périodes d’anarchie et de guerre civile. Tous les efforts d’un gouvernement honnête devaient tendre à écarter cet avenir funeste et à tirer d’un accord passager une paix permanente et définitive. Il n’y a eu là ni déloyauté ni subterfuge ; il n’y a eu que la force des choses, l’intelligence des besoins du pays et l’accomplissement d’un devoir national. Ceux qui gémissent aujourd’hui du succès de la république conservatrice sont des hommes qui regrettent secrètement les discordes civiles ; ceux qui lui font la guerre, à quelque opinion qu’ils appartiennent, soit au nom du radicalisme, soit au nom de la royauté ou de l’empire, font la guerre à la patrie elle-même et repoussent sans le savoir la seule planche de salut qui nous reste.

On a fait reproche à M. Thiers de ce qu’à Bordeaux, quand il fut investi du pouvoir par l’assemblée nationale, il ne se prononçait pas encore clairement entre la république et la monarchie. On aurait voulu qu’il arborât le drapeau d’un parti ; c’aurait été plus loyal, dit-on. On aurait su par là à qui l’on avait affaire, et l’on aurait pu dès lors traiter le gouvernement en ami ou en ennemi. Oui, ç’aurait été plus loyal à l’égard des partis ; mais était-ce plus