Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ser le pays exposé à ces coups de vent des scrutins de liste, qui mettent le hasard dans les élections, qui ne sont, à tout prendre, que le plébiscite, sous une forme un peu moins violente, dans le cercle d’un département. En définitive, de quoi s’agit-il ? Les républicains sincères et prévoyans devraient être les premiers à demander cette réforme et toutes celles dont on parle aujourd’hui, car enfin, si l’on veut que la république vive, il faut qu’elle cesse d’être un ouragan comme elle l’a été si souvent dans son passage à travers notre existence nationale il faut qu’elle devienne une institution paisible et pratique, qu’elle entre dans les faits et dans les mœurs, qu’elle offre des garanties contre les dangers de mobilité et de perturbation dont elle porte en elle-même le redoutable germe.

Une des choses les plus plaisantes, c’est le ton mélancolique que prennent, depuis quelque temps surtout, les chefs et même les dieux inférieurs du radicalisme, pour se plaindre de tout ce qu’ils ont eu à dévorer, des déboires qui leur ont été infligés pendant ces deux dernières années. M. Louis Blanc le disait, il y a peu de jours encore, avec un attendrissement des plus touchans. Les radicaux sont malheureux, ils ont été obligés plus d’une fois de réprimer leurs intempérances, de retenir leurs programmes, leurs discours, leurs propositions, leurs interpellations ; ils se sont vus condamnés à se taire quand ils avaient tant envie de parler ! Mais ne voient-ils pas que, si la république vit encore, c’est peut-être justement parce qu’ils ne l’ont pas gouvernée, parce qu’ils ont été contraints par les circonstances à cette modération qui leur pèse ? Vraisemblablement, s’ils avaient eu toute liberté, c’eût été bientôt fini ; la crise eût été violente sans doute, elle aurait fini comme toutes les crises de ce genre. L’anarchie eût enfanté quelque dictature, et une fois de plus la république aurait été perdue par ceux qui se prétendent ses vrais et uniques serviteurs. Elle vit, parce qu’elle a été sagement protégée contre ses excès, parce qu’il s’est trouvé là un homme qui a su se servir de ce régime pour relever, autant qu’il l’a pu, un pays qui venait de tomber mutilé et sanglant dans la poussière. Elle ne s’est maintenue, en un mot, et elle ne peut se maintenir que par cette politique de ménagement et de prudence que rendent nécessaire les circonstances extérieures autant que les complications intérieures. C’est assurément un fait curieux et qui dénote la singulière idée que les radicaux se font de la vie d’un pays. Dès qu’ils aperçoivent un certain calme, une certaine paix, dès qu’ils voient qu’on se remet à traiter les affaires pour elles-mêmes, à résoudre simplement les questions sans mettre partout l’agitation et la violence, il leur semble que ce n’est plus la république, qu’on leur a pris leur régime préféré. Pour que la république existe à leurs yeux, il faut qu’ils puissent se déchaîner, remuer les passions, se répandre en discours enflammés, sans s’inquiéter des résultats de cette