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fort puérile, il trouve que c’est une insigne faiblesse de se préoccuper des Prussiens, qui n’ont pas le droit de se mêler de nos affaires. Ce qui est puéril, malavisé, c’est de ne pas tenir compte des circonstances, c’est de s’imaginer naïvement que la France aujourd’hui peut perdre impunément trois mois en agitations stériles. Sans doute, comme le dit M. Louis Blanc, le crédit de la France est considérable, il a suffi à tout, il doit jusqu’au bout suffire à tout ; mais ce crédit lui-même ne vit et ne se soutient que par le travail, par la sécurité, et ce n’est pas au milieu des incertitudes, des confusions d’une crise toujours redoutable, que le pays peut travailler, que le gouvernement peut combiner tous les moyens nécessaires pour hâter ou assurer la libération du territoire. Quelle raison y a-t-il d’aller au-devant de ces périls ? Les radicaux se défient de l’assemblée actuelle, voilà toute la question ; déjà ils s’étudient à mettre en suspicion tout ce qui pourra être fait par elle, même pour l’établissement de la république, et ils ne voient pas qu’en déclinant l’autorité de cette assemblée librement élue, c’est l’autorité même de la souveraineté nationale qu’ils déclinent. La chambre de Versailles peut ne pas leur plaire, c’est possible ; croient-ils par hasard qu’une chambre où ils domineraient ne soulèverait aucune protestation et serait considérée par tout le monde comme la représentation fidèle de la volonté nationale ? La vérité est qu’entre l’impossibilité d’un retour à la monarchie et le danger des agitations où le radicalisme cherche une victoire de surprise, il n’y a qu’un moyen pratique, efficace, c’est que l’assemblée elle-même se décide prudemment à régulariser le régime que les événemens ont fait à la France, en l’entourant de toutes les garanties qui peuvent lui imprimer le caractère d’un régime de libérale conciliation.

Au fond, c’est là visiblement la direction de l’opinion. Le pays ne demande rien de plus ; il se rattache par instinct, par bon sens à ce qui existe, et les élections qui viennent d’avoir lieu, qui ont été un instant l’objet de tant d’interprétations, de tant de commentaires, ces élections, interrogées en toute impartialité, n’ont point un autre sens. N’est-il pas clair d’abord qu’elles ne révèlent aucune tendance particulièrement monarchique ? Même dans le Morbihan, où le candidat de l’opposition a triomphé, le vote semble avoir eu un caractère religieux encore plus que politique. Dans les autres départemens, les nouveaux élus sont républicains, ils se sont présentés comme tels ou ils ont fait acte d’adhésion à la république. Le résultat est-il cependant aussi simple, aussi décisif qu’on le dirait, et les radicaux ont-ils surtout le droit de triompher du dernier scrutin ? Il faudrait s’entendre. Qu’on remarque ce fait au moins caractéristique : ce sont des républicains qui ont été nommés, mais tous, ou presque tous, ils ont commencé par protester de leur adhésion au régime actuel, au gouvernement de M. Thiers, à la ré-