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L’ALSACE-LORRAINE DEPUIS L’ANNEXION.

pays étrangers. Ses fournisseurs en renom sont partout bien classés ; c’est un fonds de clientèle, puissant par le nombre, influent par l’universalité, et qui s’est formé par les mêmes préférences et les mêmes goûts, quoiqu’il ne parle pas la même langue. L’Allemagne peut-elle prétendre à ce rôle, et en remplit-elle les conditions ? D’abord l’homogénéité du marché lui manque, et probablement lui manquera toujours. Elle n’est point en réalité un état, c’est une marqueterie d’états qui hier encore avaient une existence séparée, et en gardent l’empreinte. De là des différences de mœurs, de coutumes, de traditions, qui laissent un champ ouvert à des industries locales et affaiblissent, quand elles ne les suppriment pas, les grandes concentrations. On aura beau faire, ni le Souabe, ni le Westphalien ne puiseront aux mêmes dépôts que les habitans de la Poméranie, et il y aura toujours un autre courant d’approvisionnemens pour l’Allemand du midi, auquel sourit le soleil et que la terre comble de ses largesses, et l’Allemand du nord, qui plonge dans les brumes et cultive péniblement ses tourbières. Ces contrastes ne suffiraient pas qu’un autre empêchement se présenterait. Berlin est trop mal situé pour se permettre tous les déplacemens de fantaisie ; l’esprit militaire peut y condescendre, l’esprit commercial ne s’y prêterait pas.

Toute récapitulation faite, l’empire d’Allemagne n’a point à offrir au monde, comme marché de luxe, une ville qui puisse supplanter Paris. Aux expiations qu’il nous a infligées, il n’ajoutera pas celle-là, et l’Alsace, dont il veut se faire un auxiliaire, n’acceptera pas cette complicité. Pourtant nos vainqueurs ne la tiendront pas quitte : les résistances qu’ils y rencontrent les piquent au jeu, eux à qui depuis dix ans rien n’a résisté ; ils essaieront sur elle tous les moyens possibles de captation pour en obtenir au moins les apparences d’un consentement. Coûte que coûte, il faut, pour employer leurs expressions, que l’Alsace se germanise. C’est l’œuvre à laquelle ils travaillent avec cet art persévérant qu’ils ont montré dans tout ce qu’ils entreprennent, et comme d’habitude avec une grande vigueur d’exécution. Nous allons voir quels moyens ils emploient, et ce qu’ils en attendent.

II.

C’est contre Mulhouse surtout que sont dirigées les visées secrètes de l’Allemagne, et à ce propos une question se présente. De quel droit historique s’appuient donc ses érudits pour en revendiquer la possession ? Ce serait curieux à connaître. Mulhouse doit tout à la France et ne doit absolument rien à l’Allemagne, sa re-