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où il paraît. C’est ce je ne sais quoi qui fraie aux tissus de Mulhouse le chemin des grands débouchés, Londres, Vienne, Saint-Pétersbourg, Berlin, et qui renvoie aux Américains, malgré des droits et des frais énormes, leurs propres cotons filés, tissés et imprimés chez nous. Voilà ce que constate M. Gustave Meyer, et il entre dans quelques détails pour donner à ses compatriotes une plus juste notion de l’état des industries d’art en France et en Allemagne.

« Unie depuis tant d’années à la France, dit-il, l’Alsace s’est d’autant mieux assimilé le goût et l’esprit français que l’excédant de sa production industrielle est destiné à la France. C’est en effet à Paris, où la plupart des grands établissemens ont leurs dépôts, que se concluent les grandes transactions, et c’est de là que partent la recherche constante et l’effort soutenu du renouvellement de la fabrication. Les tissus de coton allemands ont leurs mérites, notamment la solidité et le bas prix, mais comme beauté d’exécution dans la filature et le tissage, dans la teinture, dans l’impression, même dans les détails secondaires du pliage et de l’apprêt, ils restent fort en arrière de l’industrie alsacienne : encore moins peuvent-ils lutter pour l’originalité dans l’invention. En un mot, nous manquons d’une industrie d’art véritablement allemande. Les sorties contre le goût français et les marchandises françaises ne sont que pures déclamations : au fond, le gouvernement prussien n’a point d’illusions là-dessus ; il a vu par où ses industries péchaient et s’est efforcé d’y porter remède. Il a procédé à une organisation complète des écoles d’arts et métiers et des écoles de dessin qui y sont annexées. Aux créations officielles se sont jointes des créations privées, à Stuttgart un dépôt de modèles, à Carlsruhe le conservatoire des arts et métiers, enfin à Berlin un musée où figurent des collections choisies d’objets anciens et nouveaux d’art industriel. »

Qu’en pensent les Allemands, et leur faut-il d’autres témoignages ? Ne sont-ce pas là des aveux et des actes qui attestent une infériorité formelle en même temps que le désir et la volonté de s’affranchir de cette infériorité ? S’en affranchir, soit ; mais ce n’est pas fait, c’est seulement ce qu’on veut faire, et il y a loin de la coupe aux lèvres. On insiste, et l’on invoque l’exemple de l’Angleterre ; les auteurs allemands en abusent surtout ; il serait bon, puisque l’occasion s’en présente, de réduire les choses à leur juste valeur. Le fait est que le bruit qui se fit, il y a vingt ans de cela, à propos des industries d’art chez nos voisins et de la fondation à grands frais du musée de South-Kensington, ne fut pas tout à fait désintéressé. Il devint de mode alors, dans les salons et dans les ateliers, de proclamer bien haut que l’art français était menacé, et