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nouvelles surprises. Dans son deuil politique, il a eu cette compensation, que ni ses industries, ni son commerce n’en ont souffert. La fabrique d’impressions n’est pas la seule qui ait eu cette chance ; on cite d’autres industries qui l’ont partagée et même dépassée, notamment la filature et le tissage de la laine, qui sont pour la Haute-Alsace d’introduction récente. On signale en ce genre des établissemens qui au bout de peu d’années ont pu reconstituer avec leurs bénéfices l’équivalent de leur capital d’émission. Il y a donc là, pour plusieurs détails, une veine d’abondance qui succède à la disette des mauvais jours.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, ces succès tiennent à un traitement de faveur qui peut cesser d’un jour à l’autre. À l’heure qu’il est, l’Alsace jouit du bénéfice de deux marchés, l’un à droit réduit, l’autre sans droits. Tôt ou tard cette situation sera contestée, non pas qu’il y ait beaucoup à craindre des réclamations que pourront élever quelques-uns de nos centres industriels : une question de sentiment, d’affection et on peut dire d’honneur domine ici les considérations d’intérêt ; mais on n’aura pas aussi bon marché des susceptibilités allemandes. L’empire d’Allemagne ne souffrira pas longtemps que l’Alsace appartienne à la France par un lien aussi étroit, et reste à ce point identifiée à sa fortune. Supérieur dans les arts de la guerre, il voudra le devenir dans tous les arts. Avec la puissance, l’orgueil lui est venu, et en mauvais conseiller pousse le génie national vers les entreprises auxquelles il est le moins propre. On a pu le voir dans cet embryon de marine qu’il va promener autour du monde, comme un avis donné à l’Angleterre et aux États-Unis. Vis-à-vis de la France, toute mutilée qu’elle est, il lui reste une dernière victoire à poursuivre dans le domaine de l’élégance et du goût, dans les industries auxquelles l’art donne un certain relief. Il l’essaiera certainement, de beaucoup de côtés on l’y pousse ; Berlin est jaloux de Paris, de la supériorité que Paris conserve dans l’ajustement, dans l’ornement, dans la décoration. Peut-être les populations du Brandebourg n’arriveront-elles jamais, si bien qu’on les y exerce, à ces habiletés de la main : leur meilleur outil, elles l’ont prouvé, c’est le glaive (das Schwert), — à chacun son lot ; mais les Alsaciens sont là, des annexés de fraîche date, de nouveaux frères auxquels la grâce française a communiqué une partie de ses dons, et qui l’emploieront à donner ce dernier complément à la supériorité allemande. Tels sont les plans et les calculs.

Discuter là-dessus, de la part d’un Français, serait peine perdue : nous avons si tristement défailli dans l’action que nos paroles ont gardé peu de crédit. C’est donc avec des Allemands que désormais il nous faut battre les Allemands. La prétention de prendre la