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de Ponte-Corvo, pendant cette glorieuse journée, cette narration contient nombre de particularités curieuses et inconnues. Nous allons en placer fidèlement sous les yeux du lecteur les parties les plus intéressantes.


« Le général de Trobriand est venu passer l’anniversaire d’Auerstedt avec la famille de son cher maréchal. Ce souvenir le remuait, l’animait, et il s’écriait à chaque instant : Il faisait chaud à cette heure, il y a cinquante-quatre ans. Ah ! quel homme que le maréchal ! je le vois encore. En face de l’ennemi, nous étions comme ce petit vase (un vase de fleurs posé sur la table) en face de ce gros canapé. Nous avions l’air, avec nos 14,000 hommes, de préparer un déjeuner à messieurs les Prussiens, qui étaient 70,000 contre nous. Le maréchal fait former le carré et se place au centre ; puis d’une voix qui retentissait comme la trompette, le visage illuminé, il s’écrie : « Le grand Frédéric a dit que c’étaient les gros bataillons qui remportaient la victoire ; il en a menti, ce sont les plus entêtés. Faites tous comme votre maréchal, mes enfans, en avant ! » Et tous de s’élancer en avant comme électrisés et acclamant avec délire : vive monsieur le maréchal ! et le notre entêté a eu raison sur le grand Frédéric………….. A un moment de cette journée, le maréchal Davout resté maître du champ de bataille, mais incapable de poursuivre ses avantages, avisant une manœuvre qui pourrait en une fois terminer la campagne, envoya, pendant qu’il se battait encore, son aide-de-camp Trobriand auprès de Bernadotte, en lui criant au milieu du feu : « Allez-vous-en lui dire que je n’ai pas un homme de réserve, et qu’il poursuive mes succès. » Ponte-Corvo, toujours jaloux et mauvais camarade, répondit au messager avec force jurons : « Retournez dire à votre maréchal que je suis là, et qu’il n’ait pas peur. » — « Sacrebleu, depuis huit heures du matin jusqu’à quatre heures du soir que mon maréchal s’est battu comme un lion contre des forces écrasantes, il a bien assez prouvé qu’il n’avait pas peur ! » La querelle s’envenima, et il ne put amener Bernadotte à marcher.

« Le lendemain, l’aide-de-camp fut envoyé auprès de l’empereur par le maréchal Davout, qui avait couché sur le champ de bataille, pour lui annoncer son éclatant triomphe. Napoléon, un peu crispé, malgré son contentement, interrogea vivement Trobriand sur les circonstances du combat ; enfin, impatienté de ses réponses, il s’écria : « Allons, votre maréchal, qui n’y voit pas d’ordinaire, y a vu double hier. » — Davout était en effet un peu myope.

« Cependant Bernadotte, au fond un peu inquiet, était venu se plaindre à Berthier, et réclamer le châtiment de l’insolent envoyé de Davout qui lui avait manqué de respect. Berthier, qui aimait Trobriand et l’appelait toujours M. de Chateaubriand, le manda près de lui, et, après avoir