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légèrement caressé n’était autre chose pour lui que le symbole de l’action et l’insigne du commandement militaire. Encore une fois cela est ingénieux, mais la pensée de l’artiste sera-t-elle comprise de beaucoup ? Je ne ferai qu’un seul reproche à cette statue ; l’artiste a représenté le maréchal Davout beaucoup trop jeune. C’est l’officier de la campagne d’Égypte et de l’aurore du consulat que nous contemplons dans cette statue, ce n’est pas le chef militaire d’Auerstaedt et de Wagram, encore moins le rigide organisateur des armées du nord et le combattant héroïque de Mohilev, de Smolensk et de la Moskova. Comme il est trop jeune, il est aussi beaucoup trop serein ; la tranquillité de Davout n’était pas exempte de tristesse, et son visage connaissait peu ce sourire heureux que lui a donné l’artiste et qui ne convient qu’aux existences sans nuages, ignorantes du fardeau de la responsabilité, des douleurs du commandement et de la dureté des choses d’ici-bas. L’artiste, il est vrai, a une excuse ; il a été préoccupé de rendre la beauté physique du maréchal. Mais cette beauté était assez réelle pour se passer du secours de l’extrême jeunesse ; ce n’est que pour ceux qui ignorent en quoi consiste la vraie beauté de l’homme que Davout bronzé par les fatigues du camp et du champ de bataille peut paraître moins beau que Davout jeune et dameret. D’ailleurs l’artiste n’a pas à notre avis assez respecté les caractères vrais de cette beauté, il les a même légèrement altérés. Nous avons vu plusieurs miniatures de Davout jeune ; la tête est plus ronde, le cou un peu plus court, les épaules plus larges. Une robuste encolure bourguignonne en un mot dominait chez le maréchal ; or la statue ne le fait même pas soupçonner. Ce n’était pas le cas de sacrifier la vérité à la beauté, puisque la beauté était réelle, et que la vérité ne pouvait lui nuire en rien.

Le vieux général de Trobriand, qui pendant tout le temps de l’empire ne cessa d’assister le prince d’Eckmühl en qualité d’aide-de-camp, racontait sur le maréchal l’anecdote suivante. Pendant qu’il occupait les environs d’Ostende, un peintre se présenta un jour à lui avec de bons tableaux comme échantillon de son savoir-faire, en le suppliant de lui permettre de faire son portrait. Justement la maréchale d’Eckmühl réclamait en ce moment un portrait de son mari, Davout consent. Les séances se succèdent, séances fort interrompues par les allées et venues du maréchal, qui, pendant qu’il posait, donnait ses ordres et lisait sa correspondance, et le portrait ne s’achevait pas. Si d’ailleurs ce portrait était bon ou mauvais, Davout n’en savait rien, car il avait promis au peintre de ne pas regarder son ouvrage avant qu’il ne fût terminé. Enfin l’artiste demande à emporter un uniforme, afin de mettre la dernière main à son chef-d’œuvre, et rapporte bientôt une enseigne de village et