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ouvrent l’entrée de la chapelle. Vous voyez que les monumens ont, comme les hommes, leurs destinées heureuses ou malheureuses. On réparait la cathédrale au moment où je la visitais ; espérons pour ce brillant édifice que ces réparations sont l’augure d’une existence un peu moins tourmentée que celle du passé.

Bien qu’appauvrie et mutilée par cette cascade de malheurs, la cathédrale n’en possède pas moins trois choses qui lui constituent un intérêt considérable, une grande unité de style, de splendides verrières et une curieuse crypte[1]. Sa perfection architecturale en fait le plus remarquable édifice gothique que possède la Bourgogne. L’église est d’une seule pièce et d’un seul caractère ; pas de ces

  1. Ce n’est pas à dire cependant que la cathédrale d’Auxerre ne possède pas un certain nombre d’œuvres de mérite on d’objets curieux, mais, comme aucune de ces œuvres n’est un aiguillon pour la pensée, et comme aucun de ces objets ne constitue une rareté unique, je me contenterai d’en dresser en note un catalogue aussi exact que possible. Deux monumens funèbres placés sur les deux côtés du chœur s’imposent à l’attention ; l’un, celui de l’évêque Jacques Amyot, a été élevé par la piété de son neveu ; l’autre est celui d’un second évêque d’Auxerre, Nicolas Colbert. Tout ce qu’on peut dire de ces tombeaux surmontés des statues des deux prélats, c’est que ce sont deux beaux monumens funèbres, mais devant lesquels l’âme conserve une tranquillité parfaite, et qui n’ajoutent rien à ce que nous savions de l’art de la fin du XVIe et de la fin du XVIIe siècle. Le monument élevé aux frères de Chastellux dans la chapelle de la Vierge parlerait un peu plus fortement à l’imagination ; mais ce monument est une simple restitution qui fut faite sous la restauration pour remplacer le monument primitif qui avait été détruit, et d’ailleurs nous réservons ce que nous avons à en dire pour le chapitre où nous parlerons de Chastellux. On montre dans une chapelle une peinture sur pierre, fort endommagée par un réparateur maladroit, représentant une pietà et attribuée à Léonard de Vinci. Le corps du Christ, d’un dessin admirable, ne serait pas indigne du grand maître ; mais la douleur de la Vierge penchée sur le corps parle un langage qui n’est guère celui des figures de Léonard et rappelle d’une manière fort étroite le même genre de pathétique que nous trouvons dans les œuvres de Lorenzo di Credi. Deux autres chapelles attirent un instant ! a curiosité, l’une par des restes de vieilles fresques effacées consacrées aux souvenirs des saints d’Auxerre, Germain, Pallade, Virgile, etc. ; l’autre par un barbouillage colorié qui ressemble à une énigme et qui est une énigme en effet jusqu’à ce qu’on en ait l’explication. Des colombes, des flammes, des verges et autres emblèmes dont le sens échappe, couvrent les murs et la voûte de cette chapelle. Cette énigme peinte donna lieu naguère à une méprise amusante digne de l’antiquaire de Walter Scott. Un archéologue de la localité, emporté probablement par un zèle trop voltairien, attribuant à ces peintures une date plus ancienne que la leur, voulut y voir des emblèmes de l’inquisition. Informations prises, il se trouva que ces coloriages avaient été peints à la fin du XVIIe siècle par un ecclésiastique qui avait quelques notions de la peinture, et que ces rébus n’étaient autre chose que les différens emblèmes qui expriment les diverses formes et les divers degrés de la pénitence. Une cathédrale ne va guère sans un trésor, surtout la cathédrale d’un évêché aussi ancien, et cependant celle d’Auxerre n’en possédait pas avant ces dernières années. Enfin un certain M. Duru, collectionneur qui s’était acquis une renommée de goût et de tact assez justifiée, est mort en laissant à la cathédrale celle des parties de sa collection qui ont un intérêt religieux, en sorte que cette église est maintenant bien pourvue de tous les précieux bibelots qui composent un trésor.