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Plutarque, et célébrer la douceur de l’amour mystique avec une onction issue, comme une fraîche rosée, de la naïve sensualité de Daphnis et Chloé. Comme il arrive toujours, ce fut à ce moment suprême de grâce et de douceur que le malheur commença pour la jolie cathédrale. Vinrent les huguenots, et leur zèle iconoclaste mutila les sculptures de sa façade, brisa les figures de ses tombeaux. Une inscription, placée par Jacques Amyot lui-même en 1572 contre un ; des murs de la cathédrale, constate ces mutilations et nous apprend qu’il les fit réparer en partie. Les grosses destructions furent en effet réparées, mais non pas celles des délicats ornemens sculptés, qui furent perdus pour toujours. Les guerres religieuses une fois passées, on entra dans les temps d’ordre monarchique où le gothique fut peu en faveur. La cathédrale fut donc négligée, laissée sans soins et sans réparations, arbitrairement altérée par telle ou telle mesure prise sans scrupule, et, qui le croirait ? la mode a un tel empire, que plusieurs fois le clergé des derniers siècles, regretta de ne pouvoir reconstruire sur un plan plus nouveau cette église dont l’architecture lui semblait barbare. Les sans-culottes vinrent à leur tour ; mais, comme il faut être juste envers tout le monde, il est bon de dire qu’ils n’ajoutèrent pas grand’chose au mal du passé, soit parce que le plus gros était fait, soit, ce qui est plus probable, parce que le peuple d’Auxerre, chez qui l’esprit de la ligue avait été si fort autrefois, conseillait au milieu de son zèle révolutionnaire un robuste levain de sentimens catholiques. Tout ce qu’ils firent, ce fut de gratter les emblèmes de la royauté, fleurs de lis et autres. L’ordre reparut enfin, et avec l’ordre, nouveau malheur. Une cathédrale ne va pas sans un évêché ; or l’évêché d’Auxerre, fondé au IIIe siècle par saint Pèlerin, était un des plus anciens et des plus vénérables de France, un de ceux qui semblaient les mieux protégés par la sainteté des souvenirs. Je ne crois pas en effet qu’il y ait en France de siège épiscopal où se soient assis plus de saints personnages ; mais à l’époque où furent tracées les nouvelles circonscriptions diocésaines, l’archéologie religieuse était peu en faveur, et petit était le nombre des âmes que pouvaient toucher les souvenirs de saint Pèlerin, de saint Germain, de saint Aunaire, de saint Didier, de saint Pallade, de saint Virgile, de saint Aunaire, et de je ne sais combien d’autres encore. L’évêché d’Auxerre fut donc aboli, et son diocèse fut réuni au diocèse de Sens. Enfin il n’est pas jusqu’à la dernière invasion dont la malheureuse cathédrale n’ait failli pâtir ; un boulet prussien est entré dans l’église, et est allé se loger dans un coin de la chapelle où se trouve le monument des Chastellux. Ce boulet semble avoir pris une direction subtilement oblique, ce qui est heureux, car sans cela il brisait une des colonnes monolithes si légères, qui