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Ceci est encore une illusion. Le service que la légitimité demande à la bourgeoisie ou à la monarchie de 1830, qui représente les traditions et les intérêts de la bourgeoisie, celle-ci ne peut absolument pas le lui rendre. Sans parler du respect que les chefs du parti d’Orléans doivent eux-mêmes aux traditions de leur famille, ils sont les représentans d’une doctrine libérale et, tranchons le mot, révolutionnaire, qui ne se concilie pas avec celle de la monarchie légitime. Ils sont les enfans de la souveraineté nationale, et ils ne peuvent être infidèles à leur origine. Pour le parti orléaniste, la monarchie ne peut pas devenir une institution divine ; elle n’est qu’un modus vivendi toujours subordonné à la volonté de la nation. Ce parti et ses chefs, fussent-ils de race royale, peuvent se rallier sans inconséquence, sans honte, à des institutions républicaines ; mais ils ne peuvent accepter le dogme de la monarchie sans renier tout leur passé. Tout ce que l’honneur, le respect d’eux-mêmes, la fidélité qu’ils doivent à leurs principes, leur permettent de promettre aux diplomates de la royauté légitime, c’est qu’ils conserveront, quoi qu’il arrive, une neutralité loyale, qu’ils se refuseront à jouer le rôle intéressé de prétendans, et qu’ils s’effaceront devant la souveraineté nationale, prêts à subir, à ratifier et à soutenir toutes ses décisions.

Telle est la seule conduite que les orléanistes véritables puissent tenir à l’égard de leurs anciens adversaires, et pourquoi ne pas le dire ? l’intérêt, le soin de leur prestige et de leur influence, ne la leur commande pas moins que le souci de leur dignité et le sentiment de leurs devoirs. L’orléanisme en effet n’est pas seulement, comme on pourrait le croire, à en juger par quelques-uns de sex partisans les plus zélés, un culte affectueux voué à des personnes princières ; c’est quelque chose de plus, c’est avant tout un système politique. L’orléanisme a représenté dans l’histoire de la société française une transaction libérale entre le passé et le présent, un moyen terme entre les formes de l’ancien régime et les idées de la révolution. Il cesserait d’exister, s’il changeait de doctrine et de caractère. Le jour où le parti orléaniste rentrerait dans le giron de la légitimité, le jour où ses derniers soldats iraient grossir modestement les rangs des défenseurs fidèles de l’ancienne royauté, ce jour-là les princes d’Orléans reprendraient peut-être leur rang de cadets dans la famille royale de France et leurs droits à une hérédité tout idéale, mais ils auraient signé aux yeux du pays leur abdication de princes et leur démission de citoyens. Le pays, qui ne les distingue pas assez de la royauté légitime, ne les en distinguerait plus du tout, et pourrait les envelopper dans le même discrédit. Quant à ceux de leurs partisans sérieux, fidèles amans de la