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maison de Valois ayant déplacé son centre d’action, la Bourgogne ne fut plus qu’un satellite de la Flandre. On dirait un fragment de Bruges ou de Malines transporté au beau milieu de la Côte-d’Or par un miracle analogue à celui qui, selon la tradition, transporta le sanctuaire de Notre-Dame-de-Lorette de Palestine en Italie. Existe-t-il en Bourgogne un autre témoin aussi intact, aussi complet, de cette domination si passagère, et si brillante, de la Flandre ? Pour ma part, je n’en connais pas. C’est assez dire quel intérêt s’attache à la conservation de cet édifice dans ses moindres dispositions, et combien il serait regrettable qu’il fût à la merci de réparations ou de changemens qui en altéreraient le caractère.

L’intérieur n’est plus tout à fait tel que l’avait ordonné Rolin ; de nombreux changemens y ont été opérés tant dans les salles que dans la chapelle ; mais, tel qu’il est, il répond dignement à l’extérieur. On ne peut parcourir sans un sentiment de reconnaissance attendrie ces longues et vastes salles aux murs d’une blancheur irréprochable, avec leur double rangée de lits largement espacés. Partout brille une propreté exquise, nulle part ne se fait sentir la moindre de ces odeurs d’hôpital, mélanges de pharmacie, de potage, de tisane et d’émanations de malades, qui sont si révoltantes pour le cœur. La tenue de cet établissement fait le plus grand honneur aux bonnes sœurs en costume blanc et bleu qui le desservent avec un zèle où le chancelier Rolin, s’il revenait au monde, se plairait à reconnaître l’exécution expresse de ses volontés. Pourquoi faut-il que mon admiration pour leur charité, dont la tenue de cet hôpital est un si touchant témoignage, soit mêlée d’un ressentiment que je ne puis taire ? Nicolas Rolin, en sa qualité de chancelier de Bourgogne, eut la bonne fortune d’être l’ami et le protecteur des Van Eyck, et parmi les cadeaux dont il enrichit son hôpital se trouvait une œuvre considérable de Jean de Bruges représentant le Jugement dernier, laquelle a subi pour le moins autant de mésaventures que le fameux Agneau mystique de Saint-Bavon de Gand. Primitivement cet ouvrage ornait l’autel de la chapelle ; un beau jour, il déplut aux bonnes religieuses pour ses prétendues nudités, et elles le reléguèrent sans façon dans une salle déserte d’un étage supérieur en compagnie de la poussière et des toiles d’araignée. Cette précaution même ne leur parut pas suffisante, et elles firent peinturlurer de draperies malencontreusement bienséantes les figures sorties du pinceau du plus pudique et du plus innocent des peintres. Aurait-on jamais imaginé que le pieux Van Eyck pût être suspect d’impureté ? Règle générale et à peu près sans exception : donnez aux religieuses de gentilles images pour orner leurs chapelles, et quantité d’argent pour leurs pauvres, mais ne leur confiez jamais une œuvre d’art, car il arrivera toujours, comme pour le Van Eyck