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notre guide, il résulte que le gamay est un plant vulgaire que l’on cultive dans les plaines et les terrains mal exposés, par opposition au pinot, qui a le privilège de croître sur les coteaux bien ensoleillés. Cela revient à dire que le gamay, quoique plant de Bourgogne, produit un vin parfaitement ordinaire et qui ne mérite pas d’être plus distingué que n’importe quel cru médiocre de Berry, de Saintonge ou de Périgord, et que le pinot seul produit les vins qui ont droit de porter les titres de noblesse vinicole. Cette explication donnée, je commence à comprendre les épithètes méprisantes de Philippe le Hardi et de l’abbé Courtépée, et pourquoi pendant trois siècles les conseils de Bourgogne n’ont cessé de demander l’extirpation de cet intrus, qui se donne comme plant de Bourgogne à peu près comme tels aventuriers français se font passer à l’étranger pour des Montmorency et des La Trémouille. Le gamay nous déshonore, n’ont cessé de répéter pendant quatre siècles tous les Bourguignons jaloux de l’honneur de leur pays. Les mauvais produits de ce plant sortent de notre province, en prennent effrontément le nom, et font baisser la juste réputation que nos vins se sont acquise. Non-seulement il nous déshonore, mais il est à craindre qu’il nous ruine, car quel intérêt y a-t-il à lui laisser usurper, pour produire de mauvais vin, des terres qui porteraient de bon froment et d’excellens fourrages ? Vaines ont été toutes les récriminations de l’honnête commerce et de l’honnête propriété contre ces envahissemens de plus en plus audacieux du gamay, que la liberté commerciale a enfin pleinement émancipé, et qui, loin de ruiner la Bourgogne, a contribué à l’enrichir. Il n’y a eu de trompés en fin de compte que les dupes qui s’imaginent naïvement chaque jour boire du bourgogne tandis qu’ils s’abreuvent des détestables produits du gamay. La vulgarité prévaudra, disait tristement naguère M. Michelet ; elle n’a plus à prévaloir, c’est chose faite et en tout sens ; cette histoire du gamay, le plant déloyal, n’en est-elle pas entre mille autres une preuve des plus curieuses ? La démocratie étend ses envahissemens même parmi les plantes.

Cîteaux a été pour nous une grande déception. Si nous n’avions su d’avance que saint Bernard, génie entièrement moral, n’eut à aucun degré cet amour exquis de la nature qui distingua saint François d’Assise, l’aspect de Cîteaux nous l’aurait révélé. Cîteaux ne fut pas à la vérité, comme Clairvaux, la création propre de saint Bernard : il le trouva tout fondé, et se contenta de l’adopter lorsque, jeune, il résolut d’entrer dans la vie monastique ; mais, s’il eût été tant soit peu possédé du démon du pittoresque, il aurait sanctifié de son adoption quelque lieu d’aspect moins plat que cette campagne, une des plus dénuées de charmes que je connaisse. D’habitude les fondations de monastères ont été jetées au milieu de sites