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appelés de nouveau à gouverner la France, et l’on ne tarda pas à voir que, suivant un mot célèbre, la plupart de leurs chefs n’avaient rien appris ni rien oublié.

Ce fut là, parmi tant d’autres fautes, une des plus mauvaises actions et un des plus fâcheux résultats du régime impérial. Il avait arrêté les progrès de l’opinion publique et empêché l’éducation politique de la France. Il avait réduit tous les esprits généreux et indépendans à consumer leurs talens et leur patriotisme dans les labeurs monotones d’une opposition permanente et impuissante. Or l’opposition, qui est souvent un devoir, est presque toujours une mauvaise école et pour les hommes d’état et pour les partis. Aussi, quand l’empire disparut de la scène, on s’aperçut que derrière cette décoration de théâtre, qui avait si longtemps fait illusion à la France et au monde, il n’y avait rien qu’un peuple divisé, des factions négatives et intolérantes, des hommes politiques aigris dans la retraite, endurcis par la persécution et impatiens de prendre leur revanche, mais peu capables de gouverner le pays. Tel sortait de son château, où il avait vécu jusqu’alors, attendant le messie de la royauté légitime, et s’efforçant de fermer les yeux au spectacle de l’orgie révolutionnaire. Tel autre sortait du salon où il avait coutume de rassembler une société frondeuse pour s’y dédommager en paroles de la gêne imposée à ses actes, ou du cabinet de travail où il avait dépensé en travaux littéraires son activité depuis trop longtemps inoccupée. Tel autre enfin avait été proscrit par l’empire ; il revenait de l’exil ou de quelque prison lointaine avec l’amertume et l’exaltation qu’engendrent les longues souffrances et les persécutions injustes. Voilà ce qu’étaient devenus les principaux partis appelés à se disputer la succession de l’empire. Rejetés brusquement dans la vie publique après le long ostracisme qui les avait frappés, ils ressemblaient à des prisonniers rendus à la liberté après une captivité longue et rigoureuse. Ils rentraient aux affaires comme des émigrés reviennent de l’exil, avec des illusions accrues par vingt ans de solitude et des prétentions d’autant plus exclusives qu’elles avaient été plus longtemps déçues. Hélas ! au lieu d’une revanche à prendre, c’était leur éducation qu’ils avaient à refaire, et elle ne pouvait se refaire qu’aux dépens du pays.

Si l’expérience des deux dernières années n’est point parvenue à corriger les anciens partis, elle a du moins servi à éclairer le pays sur leur compte. Au fond, leurs ambitions et leurs prétentions sont toujours les mêmes ; mais leur impuissance est démontrée aux. yeux de l’opinion, sinon même à leurs propres yeux. Il en est d’eux comme des bâtons flottans de la fable : ils figuraient assez bien à distance et quand on les considérait dans le passé ;