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Porte en échec à la fin du siècle dernier, ni à Méhémet-Ali d’Égypte, un autre Albanais, ni aux gouverneurs que le sultan prit à ces montagnes pour les envoyer dans les principautés danubiennes, ni surtout à Scander-bey, qui sut réunir contre les Ottomans les forces indisciplinées de l’ancienne Raschie. De nos jours, nombre d’Albanais s’appliquent au commerce à Scodra, à Janina, et y réussissent. Des philhellènes célèbres à Constantinople et dans tout l’Orient, qui ont acquis de grandes fortunes par le trafic, sont de sang albanais, bien qu’ils se consacrent au triomphe de la cause grecque. Enfin dans les travaux de l’esprit, les Albanais italiens ont fait preuve de qualités sérieuses, de bon sens, du goût des recherches scientifiques, de l’intelligence des vraies méthodes. Ce qui fait défaut à ce peuple mérite d’être cherché. L’Albanais qui se trouve en contact avec les idées de l’Occident, qui fait le commerce et s’enrichit, se renferme en lui-même : il semble que son esprit soit condamné à la lourdeur, à l’étroitesse, qu’il ne puisse se dégager des intérêts personnels ; il aime à rester chez lui, il est facilement égoïste et avare, l’idée de l’association avec ses frères de même race ne le domine pas, il ne conçoit aucun but d’un intérêt général. C’est ce qui frappe à Scutari et dans toutes les villes importantes ; l’entente est impossible entre ces bourgeois, non par violence de caractère, mais parce que l’entente suppose une part de sacrifices, de dévoûment, une certaine passion qui s’attache à une idée. Ne voyons-nous pas dans le passé qu’ils ont servi tous les maîtres, combattu pour toutes les causes, souvent les uns contre les autres, aussi énergiques en faveur de l’indépendance grecque que pour la défense du croissant par exemple, ne tenant en vérité qu’à une chose, l’indépendance du clan, l’indépendance de leur personne ? Ces Albanais devenus citadins estiment que les connaissances pratiques sont utiles ; le charme d’une culture qui n’a d’autre but que le plaisir, la noblesse même de l’éducation désintéressée les trouve indifférens. Lorsque les peuples sont ainsi faits, qu’ils manquent du seul stimulant qui permette à une race de se développer sans secours, la faculté de l’idéal, il faut qu’ils reçoivent la vie d’une influence étrangère. On sait assez quelle a été l’histoire de ce peuple : il n’a jamais été entraîné, subjugué par une autre race qui le forçât à l’imiter ; il n’a jamais vu assez longtemps une civilisation étrangère qui s’imposât à lui. J’imagine que cette nature d’esprit fait assez bien comprendre ce qu’étaient ces vingt tribus, parentes des Albanais, qu’on voit aux origines de Rome, en Italie, et les Latins eux-mêmes. Le monde grec, la civilisation étrusque, qui les entouraient, les appelèrent à la vie. Les circonstances formèrent ensuite ce caractère romain, auquel