Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réunissent contre l’ennemi étranger. En temps de paix, chacune d’elles reste isolée dans sa montagne. Leur pays est divisé en clans qui s’administrent comme il leur plaît, ou plutôt, — car le mot administrer est faux, — qui vivent à leur guise. Aucune organisation n’est plus simple : les vieillards ou pliaks s’occupent des rares questions qui peuvent se présenter, par exemple de l’époque où on conduira les troupeaux au pâturage, de la division de ces pâturages, des réclamations qu’il faut faire à un clan voisin, des débats qui s’élèvent entre deux habitans. Ce n’est pas qu’il y ait une règle établie, encore moins une loi écrite ; mais les chefs de famille se réunissent naturellement pour les décisions qui les intéressent. Il en était de même dans toute la Grèce primitive, où les gouvernans de chaque tribu s’appelaient les vieillards. Ces anciens rendent la justice, assis en cercle sur des pierres, comme ceux qu’on voyait sur le bouclier d’Achille. Quand les chefs albanais sont ainsi réunis pour un jugement, ils forment ce qu’on appelle la ronde du sang ; c’est ce que les sagas nomment le gerichtsring. Le plus souvent, il n’est pas nécessaire de créer d’autres chefs ; mais, quand on prend les armes ou qu’on décide une expédition lointaine, il faut investir un maître d’une autorité plus étendue. Dans la vie d’un clan peu nombreux, l’idée du principat ne saurait se produire : elle est née d’elle-même chaque fois que les Albanais ont voulu entreprendre une action commune. Seulement ces actions ont toujours été de courte durée, de sorte que la royauté n’a pu devenir une institution. L’aristocratie même n’a jamais existé que dans les tribus un peu étendues, et qui avaient des pâturages et des champs fertiles. C’est la richesse seule, consécration du mérite et de la force ou fruit du hasard, qui a créé parfois ces aristocraties, par exemple chez les Castrati, chez les Hotti, chez les Clémenti, chez les Vassœvitch.

On trouve en Albanie quelques essais de principat, surtout chez les Mirdites. Leur territoire compte plus de 20,000 âmes ; ils ont eu souvent à se défendre contre les Slaves de religion grecque, contre les musulmans. Une famille a pris plus d’importance que les autres, la tribu s’est habituée à considérer comme supérieur une sorte de chef qui portait le nom de Pierre ; comme le mot albanais est Princk, les Européens en ont fait prince. Autour de ce chef, quelques notables sont devenus un conseil qui a quelquefois une certaine influence : ils possèdent plus de moutons et de bœufs que le simple peuple, ils sont de véritables rois homériques, comme ces basileis qui étaient si nombreux sur le rocher d’Ithaque. C’est aussi ce (qui est arrivé au Monténégro, qu’on peut citer ici, bien qu’il soit slave. La Montagne-Noire est aujourd’hui gouvernée par un prince élevé