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principaux sommets gardent leur neige toute l’année. Ces longues chaînes, quand on les voit de la mer, forment une série d’étages d’un gris sombre ; elles s’élèvent en terrasses gigantesques semées de piques, de dômes, qui se détachent sur des lignes très simples. C’est déjà la beauté de la Grèce, la même netteté de forme, la même harmonie de proportions. Le soleil rend la ressemblance plus sensible dès qu’il éclaire ces hautes masses : les chaînes éloignées alors sont recouvertes d’une sorte de vapeur grise et lumineuse, d’une gaze qu’il semble possible d’aller prendre et détacher. Sur les montagnes plus proches, toutes les saillies se précisent, se découpent, ressortent ; la roche absorbe les flots de lumière, l’œil se figure qu’elle est devenue une substance translucide. On devine ce qu’est ce pays de montagnes, une suite de vallées, le plus souvent très étroites, encaissées dans des cercles de rochers, comme dans des forteresses où en hiver l’habitant est enfermé par les neiges. Dans beaucoup de cantons, le soi est pauvre, le paysan ne voit autour de lui que des pierres mêlées à une herbe rare ; mais l’Albanie a aussi de magnifiques forêts, des lacs, des pâturages, les districts de montagne possèdent presque toujours sur les bords des deux larges fleuves qui traversent la contrée, le Drin et la Boiana, ou près du grand lac de Scodra, de vastes prairies.

Pour l’administration turque, la province est divisée en deux parties, les districts montagneux, ou plutôt, comme on dit officiellement, les montagnes, les cantons ou nahiès de la côte et des environs immédiats de Scutari. Ces cantons seuls sont soumis au régime ordinaire des vilayets ; ils ont l’organisation qu’on trouve partout dans l’empire. L’aspect des villes, en général bâties sur des collines, restes d’établissemens grecs, slaves ou vénitiens, comme Antivari, Alessio, Dulcigno, n’offre d’original que les vestiges de forteresses et d’églises décorées du lion de Saint-Marc. L’état du pays est misérable, la désolation gagne partout ; un banc de sable ferme l’embouchure de la Boiana, qui pourrait être la richesse de la province ; des ports excellens se comblent tous les jours, par exemple ceux de-Saint-Jean de Médua et de Dulcigno. Le Drin et la Boiana, dont le cours n’est pas régularisé, rendent incultes des plaines longtemps fertiles : la fièvre chasse les habitans de villes autrefois salubres ; ainsi les Turcs ont dû abandonner Alessio et se construire d’autres maisons plus loin dans la montagne. La grande plaine de Brégu-Mahias, inondée une partie de l’année, devient un marais ; les efforts récens d’une tribu voisine, celle des Clémenti, n’ont donné encore que de bien faibles résultats. L’Albanie, surtout sur la côte, est couverte de ruines : les unes anciennes, laissées par les guerres du XVIe et du XVIIe siècle et qu’aucun retour de prospérité n’a