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mot une des plus éminentes personnifications de ce parti dont M. Deák reste le vrai chef, auquel il a même donné son nom. L’opposition, la gauche du parlement hongrois, redoutait assez le nouveau président du conseil pour sa réputation de fermeté et d’énergie. La majorité n’avait pas peut-être un goût décidé pour le comte Lonyay ; l’appui qu’elle lui prêtait était moins l’effet de la sympathie que de l’esprit de discipline politique. Toujours est-il qu’elle le soutenait avec ensemble, avec résolution dans toutes les circonstances, dans les différends avec les Croates, avec les Serbes, comme aussi dans cette question de la réforme électorale, qui était ardemment agitée à Pesth il y a quelque temps, et qui n’a pu être résolue. La majorité restait surtout fidèle au président du conseil dans les luttes contre la gauche. On marchait avec un accord politique complet, sans dévier de la ligne qu’on suit depuis quelques années, et lorsque des élections générales ont été faites l’été dernier, le succès du scrutin qu’a obtenu le parti Deák semblait une garantie de durée pour le ministère et pour son chef.

Que s’est-il passé depuis ce moment ? C’est ici peut-être que les incompatibilités, les antipathies personnelles, commencent à jouer leur rôle, et la gauche, battue sur le terrain politique, mais toujours acharnée contre le comte Lonyay, a cherché à prendre sa revanche d’une autre façon. Elle a ramassé l’arme la plus perfide et la plus dangereuse dans l’arsenal de guerre des partis, elle a ouvert une campagne d’insinuations outrageantes et de calomnies contre le président du conseil, qui s’est vu attaqué dans son honneur, qui a été accusé ni plus ni moins de s’être servi de sa position dans le gouvernement pour augmenter sa fortune depuis quelques années. Tant que ces injures n’ont fait que traîner dans la polémique de quelques journaux de l’opposition, ce n’était rien encore. Elles n’ont pas tardé à se produire jusque dans le parlement. Le chef principal de la gauche, M. Tisza, a donné le signal par des allusions blessantes, mais encore assez déguisées. Bientôt un autre député de la gauche, M. Czernatony, a poussé l’attaque à fond, et, dans un discours des plus violens, il a lancé contre le président du conseil une audacieuse accusation de corruption. Le comte Lonyay a répondu, naturellement avec véhémence, avec hauteur, en accablant son adversaire d’un souverain mépris. Aussitôt les passions se sont déchaînées, injures et défis se sont croisés de tous côtés, et la chambre a été en proie à une telle agitation, à un si scandaleux tumulte, que la séance n’a pu continuer.

Les choses ne pouvaient évidemment en rester là, d’autant plus que le président du conseil témoignait l’intention de se retirer, si on ne lui donnait une éclatante réparation de l’outrage qu’il avait reçu. C’était à la majorité de venger le premier ministre par un vote de confiance, et elle paraît en avoir eu d’abord la pensée. La majorité a commencé par s’émouvoir beaucoup, puis elle s’est calmée ; elle s’est persuadé