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tion à demi régulière, à fortifier, à coordonner ce qui existe, elle se récuse aussitôt, elle prétend se retrancher dans une expectative dédaigneuse ou hostile. Elle ne peut pas établir la monarchie, elle ne veut pas organiser la république. Si on lui dénie le pouvoir constituant, elle le revendique avec une jalouse énergie ; si on lui demande d’user de ce pouvoir, ne fût-ce que pour nous donner quelques-uns des ressorts les plus essentiels, les plus indispensables de tout régime politique, elle se réfugie dans une sorte de réserve mystérieuse, elle soutient qu’il ne faut « rien faire qui puisse avoir de la durée. » On dirait que son unique préoccupation est de laisser dans notre état misérable et précaire assez de faiblesses pour que nous ne puissions pas nous y accoutumer.

La droite accuse tout le monde, M. le président de la république au premier rang, de sortir du pacte de Bordeaux. Qu’était-ce donc que ce pacte de Bordeaux, si ce n’est une convention de paix intérieure, une trêve impliquant nécessairement la coopération de tous les partis à la direction, à l’administration des affaires publiques ? Eh bien ! que réclame la droite en ce moment même ? Pourquoi combat-elle ? Elle veut le gouvernement pour elle et par elle exclusivement. C’est elle par le fait qui se met en dehors du pacte de Bordeaux, c’est M. Thiers qui pratique simplement et fidèlement ce pacte, lorsqu’il prétend se maintenir au-dessus de tous les partis, et gouverner, non pas en mettant en pratique indistinctement toutes les opinions, mais sans exclure les partis et les hommes qui veulent contribuer à la réorganisation nationale. C’est ce qui fait la force de M. le président de la république devant l’opinion. On veut faire de lui le chef d’un gouvernement de parti, il reste et veut rester le chef de l’état, le représentant impartial du pays, et ce sont les conservateurs justement qui devraient lui savoir le plus de gré de maintenir ce caractère supérieur de chef du gouvernement, cette autorité suprême au-dessus des oscillations et des conflits des passions contraires. Il a des connivences dangereuses, dit-on, il s’allie avec la gauche, dont il se sert pour résister à ce qu’on lui demande. Qu’a-t-on vu cependant l’autre jour dans cette séance où l’éloquence la plus séduisante et la plus sincère n’a pu obtenir qu’une victoire si difficile et si contestée ? On a eu sous les yeux ce spectacle curieux d’un homme obligé de se défendre contre ceux dont il est rapproché par ses tendances, par ses idées, par son passé, et déclarant courageusement à ceux qui le soutiennent qu’il ne partage aucune de leurs opinions, même sur l’organisation de la république. La situation peut être étrange, c’est possible. Si elle l’est pour M. Thiers, l’est-elle donc moins pour ceux qui lui font la guerre au moment même où il affirme une fois de plus les idées les plus conservatrices, et qui menacent en lui ce qui nous reste de gouvernement au risque d’ajouter à tant de ruines les ruines que peuvent faire des révolutions nouvelles ? Ne voit-on pas que, pour sauvegarder les droits d’une monarchie qu’on se déclare hors d’état de rétablir, on compromet