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ira d’abord à New-York, puis à San-Francisco, puis en Chine, au Japon, que sais-je ? Et de cavatine en cavatine on aura fait le tour du monde, en se refaisant une fortune.

L’Opéra-Comique promet à son public pour cet hiver le Romèo de M. Gounod. M. Capoul, sur qui on avait beaucoup spéculé, manquera probablement à la fête; mais en revanche, on aura dans Juliette Mme Carvalho, toujours plus jeune de ses quinze ans! Triste sujet que celui-là, bien lugubre pour l’aimable scène de la Dame blanche et du Domino noir, et qui d’autant plus contrastera que l’auteur semble s’être davantage appliqué à sombrer la teinte. Il existe quelque part, sur ce motif des amans de Vérone, une autre partition pétulante de verve, joyeuse jusque dans la passion, où se meuvent dans l’entrain familier et la belle humeur d’une musique de demi-caractère tous les personnages secondaires de Shakspeare, où la nourrice et Mercutio se renvoient l’apostrophe, où le frère Laurent cueille ses plantes et marie les jeunes gens avec la même bonhomie, sans se croire obligé d’officier pontificalement. Cette musique charmante, émue, toute de genre, faite pour s’adapter au cadre, vous croiriez que le théâtre, voulant donner un Roméo, l’aurait choisie? Nullement, on retourne à la tragédie de Ducis. Entre deux œuvres, dont Tune n’obtint à son aurore qu’un assez mince succès d’estime et ne peut plus rien avoir à nous apprendre, tandis que l’autre encouragerait, déciderait peut-être une vocation, on prend la première, celle pour laquelle aux yeux du public aucune prévention favorable, aucun attrait de curiosité, ne sauraient exister. C’est ainsi que les choses marchent et marcheront aussi longtemps qu’il y aura des directeurs de théâtre pour pratiquer les saintes voies de la routine et des subventions pour les y aider.

Aux Italiens, la première saison n’a jamais compté beaucoup, même aux périodes les plus florissantes du théâtre; il n’y a donc point à se prononcer jusqu’à présent, et, si ce que nous entendons et voyons n’est que fort médiocre, on ne doit pas se hâter d’en conclure rien de trop fâcheux pour l’avenir. L’accueil assez froid du public d’ouverture s’explique en ce moment, et par le choix des ouvrages qu’on lui donne, et par l’insuffisante exécution de ces ouvrages d’ailleurs vieillis et démodés. La Traviata est une des partitions les plus incolores de Verdi; vous trouvez là tous les défauts du maître : absence d’idées, accumulation d’effets contradictoires. Cette scène de mardi gras par exemple, intercalée grossièrement au milieu d’une situation qui s’efforce de pousser à l’élégie, ces langoureuses romances de ténor, ces cavatines de prima donna, tout ce sentimentalisme, toute cette bravoure à outrance, empruntent la meilleure partie de leur valeur à la personnalité du virtuose; ôtez de ce cadre Mario ou Nicolini, la Patti ou la Nilsson, et il ne vous restera que la parodie musicale d’un vaudeville larmoyant. — M. Capoul réussira-t-il à conjurer l’indifférence du public à l’égard d’une scène jadis