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motifs ignorés de nous, pas un de ces ouvrages ne soit finalement adopté. Serait-ce donc vrai qu’aux yeux de la raison d’état le sujet de Jeanne d’Arc aurait tort à l’heure où nous somm.es? « La meilleure âme de la France, celle en qui renaquit la France, Jeanne d’Arc, prit sa première inspiration aux marches lorraines, dans la mystérieuse clairière où se dressait, vieux de mille ans, l’arbre des fées, arbre éloquent et qui lui parla de la patrie. » L’héroïne dont M. Michelet parle en ces termes serait en disgrâce; s’il en est ainsi, qu’on annonce la mise à l’étude de quelque chef-d’œuvre du passé.

Reprendre Armide fut le rêve de l’ancienne administration; pourquoi ne reviendrait-on pas à cette idée? Dans l’effacement des générations présentes, les chefs-d’œuvre classiques sont encore la meilleure ressource. Nous ne demandons point qu’un directeur de l’Opéra se lance de gaîté de cœur à travers les aventures et qu’il dépense 100,000 francs pour la plus grande gloire d’un auteur qui ne lui offre que de médiocres garanties; — ce que nous voudrions, c’est que la subvention fût employée utilement, qu’on fît quelque chose, et quelle plus belle occasion de se mettre en frais? Du reste, ces sortes d’entreprises ont ce double avantage, que, tout en profitant à l’art, elles enrichissent aussi le théâtre. Montée avec la splendeur que le sujet réclame, Armide aurait pour le public d’aujourd’hui l’intérêt et l’attraction d’une nouveauté. A la place du quatrième acte, désormais impossible, on mettrait un ballet, dont la musique serait habilement choisie dans les œuvres de Gluck. A défaut d’un concours actif, Mme Viardot apporterait sa longue expérience, et pour réviser les textes et conduire les répétitions les maîtres spéciaux ne manqueraient pas. On nous dirait qu’un tel projet va se réaliser que nous y applaudirions vivement. Quelle que soit notre prédilection pour les ouvrages nouveaux, nous accepterions de grand cœur ce pis-aller où nous verrions la preuve la plus convaincante de la bonne foi d’une administration résolue à n’éluder aucune charge, er, qui, rebutée dans le présent, se retourne vers le passé plutôt que de laisser dire qu’elle ne cherche qu’à gagner du temps.

L’Opéra-Comique continue après comme devant à vivre de son répertoire. Au bout de trois mois de clôture, ses portes se sont rouvertes et son affiche imperturbable fonctionne avec la ponctualité d’une horloge marquant, au lieu des heures, tantôt la Dame blanche, tantôt le Pré aux Clercs, tantôt Haydée et tantôt Zampa; puis, quand la liste est finie, on recommence. Ce n’est pas que la litanie soit désagréable, bien exécutée, on trouverait même qu’elle a du charme. Le malheur veut que la crise qui tourmente l’Opéra travaille aussi l’Opéra-Comique. Des débuts presque chaque soir, et pas un sujet, pas une espérance! Sans cette vaillante Mme Carvalho, que deviendrait-on? Autour d’elle au moins règne un peu d’ensemble, l’autorité de sa présence maintient encore quelque discipline