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c’était une imagination assez singulière, dont l’esprit de parti a seul pu faire un thème de polémiques. M. Thiers a des faiblesses pour le radicalisme comme il en a pour les épidémies qui courent dans le pays, et il l’a bien montré le jour où un acte décisif a été nécessaire. Ce jour-là, il n’a pas seulement suspendu les agens municipaux qui étaient sortis de leur rôle en se mêlant à des manifestations poliiiques, il n’a pas seulement puni quelques officiers qui avaient pris part à la réunion de Grenoble, il a voulu aller lui-même porter devant la commission de permanence l’expression du jugement le plus net et le plus péremptoire. Tout ce qu’il pouvait faire, il l’a fait ; il n’a pas eu à rompre avec les radicaux, dont il n’était certes pas l’allié ; il a maintenu l’indépendance de sa situation et du gouvernement, marquant d’un sceau indélébile le discours de Grenoble, montrant au pays, dont il est le guide justement écouté, les dangers de ces manifestations, de ces agitations de partis. Il a répété le mot invariable de la sagesse et de la nécessité : « n’agitez pas le pays ; il réclame l’union ; servons la France en étouffant nos vaines querelles… »

Il faut bien comprendre aussi les complications au milieu desquelles se débat ce gouvernement obligé de tenir tête à toutes les difficultés dans une situation sans exemple. Il ne peut être d’aucun parti, et il est réduit à contenir tous les partis. Il remplit, autant qu’il le peut, son rôle de médiateur, arrêtant résolument les radicaux dans leurs excès, avertissant quelquefois aussi l’extrême droite dans ses imprudences, et, au besoin, s’il croit avoir à soupçonner quelques menées bonapartistes, il n’hésite pas, il prend des mesures comme celle dont le prince Napoléon vient d’être l’objet. Le prince Napoléon se trouvait depuis quelques jours aux environs de Paris ; il a été invité à quitter la France, et, sur son refus de se conformer à cette invitation, il a été poliment reconduit à la frontière. Il va sans dire que cet acte de sévérité ou plutôt de précaution ne devait à aucun degré, dans la pensée du gouvernement, s’appliquer à la princesse Clotilde, qui se trouvait avec le prince Napoléon et qui n’a pu être atteinte que par circonstance. Sans doute c’est là une mesure tout exceptionnelle, discrétionnaire, qu’aucune loi n’autorise, M. Thiers en est convenu sans détour, et c’est précisément pour cela qu’il n’y a point à discuter. En prenant un tel acte sous sa responsabilité, le gouvernement n’a pas pu se décider sans avoir quelque raison sérieuse, et, dans tous les cas, il faut l’avouer, les bonapartistes seraient les derniers qui pussent être fondés à se plaindre de cette intervention exceptionnelle et modérée de la raison d’état. Il faut bien admettre qu’un gouvernement, qui agit d’ailleurs sous le contrôle incessant du pays et d’une assemblée, qui a chaque jour à rendre compte de ce qu’il fait, peut se trouver en face de circonstances qui lui imposent un acte de résolution et d’initiative.