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les municipalités, ils ne sont pas encore aussi nombreux qu’on le croit ; mais il y en a, et là où ils dominent, que font-ils ? ils sont radicaux et ils restent radicaux ; au lieu d’administrer les affaires locales, ils font de la politique, ils soulèvent des conflits avec les préfets, ils portent l’esprit de parti dans les moindres incidens, ils respectent la loi quand la loi leur plaît. S’il y a des troubles dans une ville, si on insulte l’armée, les maires radicaux se mettent avec les insulteurs. À Marseille, un conseiller-général est élu trois fois ; on casse son élection, on refuse de l’admettre, on le laisse hors du conseil, « à la porte de l’église, » parce qu’il n’est pas du parti. À Lyon, les radicaux gouvernent depuis deux ans les affaires municipales, et comment vont ces affaires ? Récemment encore un conseiller peu suspect, puisqu’il est lui-même radical, donnait sa démission parce qu’on prétendait soustraire le budget à tout contrôle, parce qu’on portait dans les comptes près de 200,000 francs de « dépenses imprévues » sans rien justifier, 25,000 francs de frais d’administration sans expliquer l’affectation de cette somme, appliquée peut-être à une distribution illégale de jetons de présence aux membres du conseil. C’est ainsi que les radicaux gouvernent, et c’est pour ce gouvernement de la « nouvelle couche sociale » que M. Gambetta s’est cru permis d’agiter le pays, d’entreprendre une campagne dangereuse pour les intérêts nationaux, compromettante pour la république elle-même, qui naturellement sous cette figure ne fait pas beaucoup de prosélytes, qui par le fait est moins avancée qu’elle ne l’était il y a trois mois.

Et toutefois il ne faut pas se plaindre. Cette aventure du radicalisme semée de banquets et de discours aura eu un résultat auquel ne s’attendaient peut-être pas ceux qui l’ont préparée, et qui peut être heureux. Elle aura dissipé les confusions qui pesaient sur notre politique intérieure, elle éclaircit les situations, elle a déjà provoqué dans la commission de permanence de l’assemblée les explications les plus décisives. Jusqu’ici, il y avait des esprits chagrins qui se plaisaient à chercher partout l’équivoque, à imaginer on ne sait quelle alliance secrète ou pour mieux dire un système de ménagemens réciproques entre le gouvernement et les radicaux. Ceux qui ont suivi depuis longtemps M. Thiers dans sa carrière, et qui savent à quel point cet esprit d’une supériorité si séduisante est résolu sur certaines questions de patriotisme aussi bien que sur tout ce qui touche à l’ordre public sous toutes ses formes, ceux-là ne pouvaient avoir un doute. Ils savaient bien que la patience circonspecte de M. le président de la république était une conséquence de sa situation, que M. Thiers était réduit quelquefois à souffrir ce qu’il ne pouvait empêcher, mais qu’il n’était point homme à se laisser gagner par quelques flatteries de radicaux intéressés à le compromettre dans leur cause, à laisser croire tout au moins qu’il ne les désapprouvait pas. Se figurer que M. Thiers pouvait avoir des faiblesses pour le radicalisme,