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correctement. Si la Westphalie avait été dans une situation normale, si on eût pu lui appliquer les lois générales de l’histoire, c’était évidemment la langue des masses qui était appelée à absorber l’idiome des conquérans. Reinhard, Wurtembergeois lui-même, était d’avis de suivre dès lors ce principe. « Si les départemens de la rive gauche du Rhin sont devenus et restent pendant une ou deux générations encore la France allemande, on pourrait, ce me semble, regarder la Westphalie comme l’Allemagne française… On pardonnera aux Allemands leur flegme, leur amour-propre, leur langue, leur littérature. Que les Allemands sentent qu’on est disposé à les estimer comme Allemands, et tous les cœurs seront conquis. » Aussi Reinhard était-il compté parmi les soutiens de ce qu’on appelait le parti allemand, qui avait pour chefs Bülow et Wolfradt, et qui cherchait à rallier à lui le prince de Fürstenstein et autres Français baronisés. Au contraire Bercagny était le chef du parti français, qui voulait voir avant tout dans la Westphalie une colonie française et une dépendance perpétuelle de l’empire. Malchus, quoique natif de Deux-Ponts, tenait pour ce point de vue, qui était celui de la haute police, des suppôts directs de Napoléon et des aventuriers étrangers.

Sans doute, en écartant la terrible éventualité d’un écroulement prématuré de l’empire, la Westphalie aurait eu quelque chance de durée. Pourtant le royaume était miné dans son existence par des causes profondes. Jérôme n’était point à la hauteur de la situation, ses habitudes de dissipation ajoutaient aux embarras financiers. L’armée westphalienne était beaucoup trop lourde pour le budget ; mise en coupe réglée par l’ambition de Napoléon, elle périssait pour un but étranger au maintien et à la défense du royaume. Les exigences financières de Napoléon avaient rendu tout équilibre dans les budgets impossible ; ses exigences économiques, et notamment le blocus continental, comprimaient l’essor du commerce. La dépendance trop visible de Jérôme, les incessantes ingérences de Napoléon dans les affaires intérieures du royaume, la présence ou le passage continuel des troupes impériales, les perpétuels remaniemens territoriaux, l’exemple trop récent de Louis Bonaparte, empêchaient la Westphalie de croire à sa propre indépendance et à sa propre durée. La persistance croissante du mouvement national allemand, les intrigues de la Prusse et des princes dépossédés, rendaient plus difficile encore la situation d’un roi étranger, soumis lui-même à un empereur étranger, et les fausses démarches de la haute police aggravaient le dissentiment entre le prince et les sujets.

On le voit, plusieurs des vices essentiels de cette fondation de Napoléon remontaient à Napoléon lui-même. Le créateur n’avait