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pessimistes admettaient volontiers les progrès réalisés dans la constitution westphalienne, mais ils pensaient que le jour où Napoléon tomberait, ce serait non pas ce qu’il avait fait de bon qui lui survivrait, mais bien ce qu’il avait fait de mauvais. Les anciens souverains rétablirait-nt soigneusement les anciennes inégalités entre nobles et vilains, seigneurs et paysans, églises d’états et dissidens, maîtres et compagnons; mais ils garderaient très précieusement le monopole des tabacs, l’impôt des patentes, les contributions indirectes, le timbre et l’enregistrement, etc.

Une chose qui préoccupait singulièrement ceux qui s’intéressaient à l’existence de la Westphalie, c’était de savoir si elle était un royaume français ou un royaume allemand. On recueillait soigneusement les indices qui pouvaient faire préjuger dans un sens ou dans l’autre. Pas plus que l’empereur, le roi n’était Allemand; il appartenait même à la partie de la France la plus étrangère au sang et à l’esprit germanique. S’il disait quelquefois à l’empereur : « Ce peuple est bon,... l’Allemand n’est point faux,... » il lui échappait dans ses momens d’humeur d’avouer « qu’il n’aimait ni l’Allemand ni l’Allemagne. » La reine était Allemande, fille de prince allemand; mais est-il vrai, comme on l’a dit, qu’elle ne voulait recevoir de suppliques qu’en langue française? A la cour, les militaires et les courtisans français coudoyaient la noblesse indigène. Pour atténuer un peu cette bigarrure, Jérôme avait imaginé de décorer ses favoris créoles, corses ou gascons, de titres du saint-empire; c’est ainsi que Le Camus était devenu prince de Furstenstein, Meyronnet, Ducoudras et d’Albignac comtes de Wellingerode, de Bernterode et de Ried, La Flèche baron de Hundelstein. Parmi les ministères et les grandes directions, trois avaient pour titulaires des Allemands : l’intérieur, les finances, l’instruction publique; mais la justice, la guerre, les affaires étrangères et la haute police étaient entre les mains de Français. Tous les généraux de subdivision étaient Allemands, mais deux généraux de division sur trois étaient Français. L’armée était allemande par la composition des troupes, polonaise ou française dans une partie de ses officiers.

Quelle était la langue officielle? Reinhard lui-même en était à se le demander. « j’ai questionné des conseillers d’état, ils m’ont répondu que c’était la langue allemande, puisqu’elle était employée dans les tribunaux et les administrations, puisque le texte allemand du code Napoléon était déclaré code du royaume. Toutefois dans trois ministères au moins, toutes les affaires se traitent en français, les discussions du conseil d’état ont lieu en français, la rédaction des décrets est française. Les traductions allemandes sont sans uniformité et souvent inexactes. » Il était difficile qu’une langue devînt officielle quand le chef de l’état ne pouvait en prononcer trois mots