Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/971

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été presque française au temps de ce landgrave Frédéric II, à la table duquel un de ses convives disait : « Il n’y a aujourd’hui d’étranger que monseigneur. » Le gouvernement, ses amis, les intérêts nouveaux s’y trouvaient en majorité. Le luxe et les dépenses de la cour y faisaient prospérer certaines branches de commerce; les ministères, les assemblées d’états, les cours suprêmes, y attiraient un nombreux personnel de consommateurs. Pour prendre part à cette fortune, de nombreux négocians ou artisans brunswickois, prussiens ou hanovriens étaient venus s’établir dans la capitale, au grand dépit des bourgeois de Cassel, qui se plaignaient d’abord qu’on vînt leur ôter le pain de la bouche. La France y était représentée par des tailleurs, modistes, coiffeurs, par les articles de Paris, les meubles, les voitures. Elle y était représentée aussi par un élément peu recommandable d’aventuriers exerçant de petites industries ou sollicitant de petites places. Presque partout s’étalaient des enseignes en deux langues. Les marchands arboraient avec orgueil les armes du nouveau royaume et le titre de fournisseurs brevetés de la cour. De même que dans la caisse des négocians tombaient pêle-mêle, avec les monnaies décimales françaises, les thalers et les groschen, les albusstücken de la Hesse et les carlus d’or de Brunswick, de même dans les rues on entendait tous les dialectes de l’Allemagne se heurtant avec les idiomes des soldats français, italiens, hollandais ou polonais.

Comme la cour donnait le ton à la noblesse et la noblesse à la bourgeoisie, le luxe gagnait; dans les austères maisons du vieux Cassel apparaissaient déjà les meubles, les glaces, les draperies françaises. Le confortable et l’élégance battaient en brèche la vieille simplicité allemande; les modes françaises faisaient disparaître les dernières traces du costume national. Dans les établissemens en renom où l’on allait prendre du vrai café[1] à un demi-thaler la tasse, en maudissant le blocus continental et la chicorée du ménage, dans la Rue-Royale (Kœnigstrasse), la plus animée des rues de Cassel, dans le parc royal, que Jérôme ouvrait libéralement à ses sujets lorsqu’il résidait lui-même à Wilhemshœhe, on discutait avec chaleur, mais avec circonspection, par crainte des agens de M. Bercagny, l’avenir de la Westphalie. Les obstinés partisans des vieilles dynasties déploraient surtout la dégermanisation des jeunes gens, qui commençaient à goûter les bons côtés du régime nouveau. Les

  1. On lit dans le Mon. westph. du 2 novembre 1810, aux variétés : « Parmi les nombreux végétaux indigènes qu’on a tenté de substituer au café, il faut classer la graine de l’asperge;... dès qu’elle est séchée, on la fait torréfier et préparer comme le café, dont elle a le goût. M. Rüdiger, professeur à Halle, croit que ce café d’Europe « pourrait remplacer celui qui nous vient de l’étranger. » On faisait également du thé avec de la feuille de tremble, etc.