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parmi ses sujets beaucoup d’ennemis; le meilleur moyen de dépopulariser le gouvernement était de calomnier le roi. Les princes de Brunswick et de Hesse-Cassel, à leur retour en 1814, étaient peu disposés à réprimer les mauvais propos contre leur prédécesseur; plus d’un pamphlet reçut même une haute autorisation. Il faut remarquer que le scandale n’alla jamais assez loin pour altérer « la manière dont le roi et la reine sont ensemble en public, et qui offre quelque chose de mieux que des égards. » Enfin les distractions extra-matrimoniales de Jérôme influèrent peut-être sur son application, nullement sur la politique. Une seule femme de la cour eut sur lui un grand empire, c’est la comtesse de Waldburg-Truchsess, grande-maîtresse de la maison de la reine. Elle devait son autorité, non à ses complaisances, mais, paraît-il, aux idées de grande politique et de régénération allemande dont elle entretenait le roi.

La reine Catherine, qui avait un an de plus que son mari, était grande, un peu forte de taille, fort majestueuse par conséquent. « Elle se prête plutôt qu’elle ne se plaît à l’apparat des grands cercles; on la dirait hautaine, parce qu’elle est timide. » De Là une certaine raideur dans les cérémonies publiques, peu d’éloquence quand il faut répondre aux complimens d’une députation. Un autre effet de cette timidité, c’est que « les affections de la reine sont constantes : une dame ou deux seulement ont obtenu sa confiance.» Des deux souverains, la fille du roi de Wurtemberg et le fils du bourgeois d’Ajaccio, c’est celui-ci qui représente avec le plus d’aisance. Toutefois Catherine avait un rôle important dans la cour et dans le gouvernement : l’aristocratie allemande trouvait, dans la présence sur le trône d’une descendante des Welfs de Brunswick et des ducs de Wurtemberg, une raison suffisante pour s’empresser à la cour du parvenu français. Elle n’était guère faite pour modérer les goûts de dissipation de son mari; elle dépensait elle-même énormément pour sa toilette ; « la reine a beaucoup de robes à distribuer à ses dames parce qu’elle en change très souvent. » Plus tard déchue de sa haute fortune, dépouillée par son père, réduite à un plus modeste budget, on la verra dans son exil près de Vienne faire ses commandes aux fournisseurs par cent paires de souliers. Sa première éducation, elle le reconnaît elle-même, avait été un peu négligée : de là une certaine frivolité et un certain désœuvrement pendant toute sa vie. Son journal de 1811, où elle prétend écrire « l’histoire de sa vie, » a ce caractère de puérilité persistante.


« 20 janvier. — J’ai été au bal masqué, où je me suis beaucoup amusée. J’ai mis plusieurs déguisemens, entre autres celui d’une vieille ven-