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est dans le caractère allemand, prétendait Reinhard, quelque chose qui répugne indéracinablement à une pareille institution. Sa bonne foi s’en inquiète, et comme, dans la conscience qu’il a de manquer d’adresse, il se sent sans défiance, un agent de la haute police à ses yeux n’est qu’un assassin... La haute police est en guerre avec tous les ministères, celui des relations extérieures excepté, avec toutes les administrations départementales; elle rend irrémédiable la scission entre les Français et les Allemands en exaltant les craintes et les défiances des uns, en inspirant aux autres ou l’indignation ou la terreur[1]. »


IV.

Le ministère de l’intérieur était aux mains du baron de Wolfradt, ancien ministre du duc de Brunswick, homme intelligent, dévoué à la Westphalie par crainte de l’annexion, et qui s’entourait indistinctement d’hommes de mérite français et allemands. Il est à remarquer cependant que les huit départemens du royaume étaient administrés par huit préfets allemands, dont quelques-uns, comme de Hardenberg, Reinmann, Gossler, avaient été élevés à l’école de la Prusse. Il en était de même assurément pour les sous-préfets, et à plus forte raison pour les maires, conseillers de département, d’arrondissement, conseillers municipaux. Tout au plus pouvait-on trouver quelques légistes français dans les conseils de préfecture. Confié aux Allemands, du haut en bas de la hiérarchie, le service de l’intérieur était de tous le plus suspect et le plus hostile à la haute police. Bercagny et Wolfradt étaient en lutte perpétuelle.

Au ministère de l’intérieur devait se rattacher la direction de l’enseignement. Elle fut d’abord donnée à Jean de Müller. Le « Tacite allemand, » comme les Français se plaisaient à l’appeler, avait, à l’avènement de Jérôme, cinquante-six ans; né à Schaffouse, mais élève de l’université de Gœttingen, il pouvait passer à la rigueur, quoique républicain suisse, pour un sujet du royaume. Dans sa carrière un peu nomade, oscillant sans cesse des recherches scientifiques aux affaires politiques, il avait servi presque tous les gouvernemens de l’Allemagne et des pays voisins. A Genève, il avait professé devant un auditoire de jeunes étrangers, la plupart Anglais, l’histoire universelle. Un voyage à Berlin et une dédicace à Frédéric II n’avaient pas réussi à lui ouvrir l’administration prussienne. On le retrouve ensuite à Cassel, à Mayence, à Vienne, investi des charges les plus diverses. A Berlin en 1804, il est conseiller intime de la guerre et historiographe. Il allait écrire l’histoire de

  1. Rapports de mars 1809 et du 10 août 1809.